Guerre ou paix en Bosnie ? La Bosnie de toute façon est morte. Je veux dire : elle est détruite. Cette Bosnie que nous avons été quelques-uns ici – et des millions là-bas – à défendre est dévastée, sans retour, et avec la bénédiction des grandes puissances. La Bosnie multiculturelle, cosmopolite, dont Sarajevo était, à la fois, la capitale et l’incarnation. Cette perte-là est irréparable. Ce deuil-là, aucun arrêt des combats ne le fera oublier. Désastre absolu.

Les vœux du président. Le fait que le lieu de discours structurellement le plus vide de l’année, celui dont il est entendu qu’il n’y a, par définition, rien à espérer ni redouter ; le fait que cette parole rituelle, convenue, conventionnellement plate et aimable ; le fait que ces vœux, oui, aient été attendus, reçus, puis commentés comme un événement politique majeur dit bien le malaise du moment et à quoi nous sommes réduits. Chirac fut-il bon ? mauvais ? La question n’est plus là. Degré zéro de la politique.

Attendre des vœux d’un président de la République un message politique, un viatique pour l’année : c’est comme aller chercher la littérature dans un arrêt du Conseil d’État. (Encore qu’il y ait eu des écrivains, et non des moindres, pour trouver du charme à la fréquentation du Code civil.)

Proust à Reynaldo Hahn : je ne vais dans le monde que pour apprendre à être seul.

Une biographie de Jacques Soustelle, chez Plon. Je le revois, salle Pleyel, un peu avant sa mort, à l’époque où je filmais mon histoire des intellectuels et où je cherchais des derniers témoins des âges révolus. Sa silhouette épaisse. Son regard débonnaire. Ses lunettes zitroniennes. Cet air de bourgeois de province qui aurait aimé, je le sentais bien, qu’on lui fiche la paix avec le passé. Et, derrière le masque du vieux réac sans fantaisie, l’une des existences les plus riches, les plus folles, les plus romanesques de ce siècle. N’avais-je pas, face à moi, l’un des derniers survivants du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes de 1935 ? un gaulliste de la première heure ? un authentique héros de la France libre ? Magie de ces vies doubles dont la seconde partie semble acharnée à réécrire, blanchir – ou, en l’occurrence, noircir – la première. Une vie comme un palimpseste.

Un film sur Albert Cohen, sur France 3, dans l’émission « Un siècle d’écrivains ». Rappeler, sans se lasser, que Belle du Seigneur n’était pas l’exaltation de l’amour-passion mais, au contraire, sa condamnation.

Yasser Arafat aurait retrouvé la paire de lunettes noires qu’il portait jusqu’à la guerre des Six Jours et perdit à ce moment-là. Quel sens faut-il prêter à l’incident ? Et quelle signification, surtout, au fait que l’agence de presse palestinienne Wafa choisit de le révéler ?

Question des Cahiers du cinéma à Xavier Beauvois, l’auteur du très beau N’oublie pas que tu vas mourir : pourquoi n’avoir jamais prononcé le mot de sida alors qu’il n’est question que de cela dans le film ? Réponse, superbe, de l’auteur : « Parce que le spectateur est intelligent et qu’il a compris ; parce que Benoît ne le dit à personne, parce que ce n’est pas le sujet du film ; parce que c’est un mot que je n’ai jamais prononcé avec ceux que j’ai connus et qui en sont morts. »

Hommage de Jacques Derrida à Emmanuel Levinas. Fallait-il une pleine page de Libération pour nous expliquer que « Adieu » pouvait aussi se dire « à dieu » ?

Conversation avec Bernard Kouchner. Où va-t-il ? Que veut-il ? Restera-t-il lui-même ? Que des hommes tels que lui entrent en politique, c’est aussi l’exception française.

Après La marche de Radetzky, L’allée du roi sur France 2. On commence à voir comment la machine fonctionne. Un chef-d’œuvre classique ou un livre populaire au sens noble du mot. Un metteur en scène de qualité. Des acteurs que l’on sent tout heureux de ne pas faire de pantalonnades ni de sitcom. Un soupçon de grâce. Et sept millions de téléspectateurs, à l’arrivée, qui redécouvrent ce que service public veut dire.

« Qui est là ? » C’est la première phrase de Hamlet. Mais c’est aussi le titre du dernier spectacle de Peter Brook aux Bouffes du Nord. Je pense à ce mot de Cocteau : « Le problème, avec les chefs-d’œuvre, c’est le public. Ah ! si seulement il y avait autant de talent dans la salle que sur la scène ! » Ce grand trou noir qu’est la salle – qui absorbe l’énergie des comédiens.

Le dernier film de Jim Jarmusch, Dead Man : l’équivalent, au cinéma, de La mort de Virgile de Hermann Broch. Je soupçonne Jarmusch d’aimer les livres autant que les images – apanage des très grands.


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