J’ai de la considération pour le juge Bruguière. Et j’ai toujours trouvé qu’il faisait montre, face aux menaces terroristes, d’un courage et d’une ténacité sans égal. Mais quelle mouche l’a donc piqué dans cette affaire de Rwanda ? Et pourquoi ces déclarations où il nous dit que l’assassinat par le président Kagame, alors simplement chef du FPR, de son prédécesseur hutu Habyarimana, fut le déclencheur du génocide ? Pour l’assassinat, peut-être a-t-il raison – et l’enquête, dans ce cas, l’établira. Mais entre un crime politique (même établi) et un génocide (de cette ampleur), il y a un saut, que dis-je ? un abîme que des raisonnements pareils ne peuvent que recouvrir. Dire : « la mort de l’ancien président fut cause du massacre » c’est réduire le massacre à un effet ; une riposte ; une fièvre vague et qui aurait, finalement, eu ses raisons ; c’est oublier la dimension de préméditation, de planification, nécessaire à un crime contre l’humanité de cette envergure ; c’est entrer, qu’on le veuille ou non, dans la logique infernale du négationnisme.

Le PSG, franchement… Ce club qui porte le nom de Paris… Mieux, celui d’un quartier de Paris inventé par un certain Sartre et quelques autres… Je n’irai pas, comme Philippe Val, dans son bel édito de Charlie Hebdo, jusqu’à souhaiter la fermeture de ce club de footeurs de haine qui déshonore la capitale. Mais le Kop de Boulogne, oui, sûrement. Et les associations de nervis qui occupent les tribunes et sont à l’origine des actes de violence, oui aussi, sans l’ombre d’un doute et sans tarder. Dissoutes, elles se reconstitueraient autrement ? Interdites, elles trouveraient le moyen, sous un nouveau nom, de réoccuper le terrain ? C’est toujours ce que l’on dit. C’est l’argument que l’on nous ressort chaque fois que l’on met hors la loi un groupe de factieux. Or ces organisations de supporters en folie sont les groupes factieux de notre époque. Elles sont les équivalents postmodernes des ligues des années 30. On fête, cette année, le soixantième-dixième anniversaire du Front populaire. Ai-je rêvé, ou l’un des premiers gestes du Front populaire fut-il de dissoudre les ligues qui faisaient le lit du fascisme ?

Toujours le même malaise face aux ambiguïtés de Mme Royal. Et toujours le même sentiment d’avoir affaire, pour reprendre le mot de Kafka, à « une écuyère montant deux chevaux ». D’un côté le courage ; le cran ; le principe même de ce voyage, en pleine épreuve de force hezbollique ; sans parler des mots forts, sans équivoque pour le coup, adressés, le surlendemain, au Premier ministre israélien. Mais, de l’autre, face au Hezbollah justement et à ce député transformant Israël en un Etat nazi, l’énorme faux pas ; la bévue ; mais n’était-ce qu’une bévue, justement ? et une part d’elle-même ne croit-elle pas que la « démocratie participative », le « dialogue », le refus tous azimuts des « conventions », la résistance à la « langue de bois », passent par le fait de « parler avec tout le monde » et de tenir donc pour rien la frontière qui sépare un incendiaire d’un démocrate ? On peut n’être ni « machiste » ni « hostile » et se poser, sérieusement, la question de savoir où en sera la candidate, le jour venu, sur des questions dont dépend rien de moins que la paix, la guerre, l’avenir de la démocratie dans le monde.

En Amérique un dictateur, et même deux, quittent la scène : Augusto Pinochet et Fidel Castro, ces jumeaux qui, entre autres points communs, auront celui de finir leur vie sans avoir eu à répondre de leurs crimes. Un autre personnage s’installe, en revanche, au même moment et reprend le flambeau : le Bolivarien Hugo Chavez, triomphalement réélu, à Caracas, au terme d’une campagne où le populisme l’a disputé à un autoritarisme à peine déguisé. Chavez c’est l’ami du dictateur biélorusse, admirateur de Hitler et de Staline, Loukachenko. C’est celui de la Syrie, du Hamas et, encore, du Hezbollah. C’est l’homme qui a déclaré, lui aussi, que les Israéliens « critiquent beaucoup Hitler » mais font « la même chose et presque pire ». C’est l’allié des terroristes qui détiennent Ingrid Betancourt en Colombie. Et c’est, depuis son voyage à Téhéran, l’un des soutiens des ambitions nucléaires de l’Iran. Téhéran-Caracas : l’axe de fer de l’oiligarchie contemporaine ; la vraie internationale des marchands de pétrole et peut-être, demain, de mort.

Pour ceux que lasse une rhétorique anti-impérialiste dont les clichés font rage au-delà de la seule Amérique latine, il y a un livre à lire, cette semaine : celui de Thomas Friedman, l’éditorialiste, trois fois Prix Pulitzer, du New York Times – La terre est plate (Saint-Simon). On peut, et c’est mon cas, ne pas partager son optimisme technologique. On peut être en désaccord avec son parti pris ultralibéral et hyperdroitier. Mais il y a, dans cette peinture d’une planète où la révolution Internet a multiplié, dispersé et, finalement, redistribué les centres de pouvoir, une nouveauté d’approche, une originalité, pas vues depuis longtemps. La montée de la Chine ? De l’Inde ? La puissance des grandes firmes, désormais supérieure à celle de l’« Empire » en majesté ? Si, peut-être… Loin, très loin, à l’autre bout du spectre politique, les thèses de Toni Negri qui trouvent, là, une sorte d’écho… Ruse de l’idéologie. Nouvelles aventures de la dialectique.


Autres contenus sur ces thèmes