Émotion planétaire autour du cas de Karla Faye Tucker. Ce visage si doux. Cette beauté. Ce repentir si visiblement sincère. Et, face à cela, l’imbécile cruauté d’un gouverneur (George Bush Jr.) et, il faut bien le dire, d’une opinion publique (massivement acquise à la cause de la peine de mort). Vertus de la démocratie directe ?

Je me moque du « droit », dit, en substance, Arno Klarsfeld. Je me fiche du « métier » d’avocat. Je n’ai qu’un amour, celui de la « vérité » – qu’une morale, celle du « militant ». Sait-il que, disant cela, il parle comme Vergès ? Se rend-il compte qu’il est, en la circonstance, une sorte de Vergès à l’envers ?

Arman au Jeu de Paume et, déjà, le torrent des stéréotypes sur son univers « saturé », « étouffant », etc. Misère des clichés. Je ne connais rien de plus léger qu’une « colère » ou une « accumulation » d’Arman.

Le « retour » d’Anne Sinclair. Quoi ? Une journaliste qui dit « je » à la télé ? l’ex-intervieweuse de « 7 sur 7 » qui ose avoir un avis sur Druon, Papon, le couple Mégret, l’Algérie ? Eh oui ! Les temps changent ! Le consensus n’est plus ce qu’il était ! Il m’aurait suffi d’entendre les cris épouvantés de la bassecour pour avoir envie de soutenir l’entreprise. Mais, en plus, l’émission est bonne, la journaliste est au meilleur d’elle-même et, de surcroît, elle invente peut-être un genre – celui du bloc-notes en images (mérite qui n’est pas mince dans un univers que l’on croyait, pour le coup, saturé – celui de la télévision).

Deux livres de François Dagognet (Éditions Synthélabo), épistémologue et historien des sciences, héritier de Canguilhem et Bachelard. La vérité n’est jamais donnée (bon sens). Reçue (apprentissage). Elle est le fruit d’une violence dans la pensée (philosophie).

Rocard, fidèle à ce « parler-vrai » qui fait, depuis vingt ans, sa différence, dénonce les « liaisons dangereuses » de Mitterrand. Face à lui, les « gloussements sonores de la poule cochinchinoise » (Lautréamont, Chants de Maldoror, chant VI, strophe I).

Tahar Ben Jelloun : Le racisme expliqué à ma fille (Seuil). Sa fille, seulement ? Allons donc ! J’échangerais bien ce petit livre contre les traités des Taguieff et autres théoriciens estampillés « antiracistes ». Quand la littérature se mêle de politique… Quand un romancier descend vraiment dans l’arène…

L’adaptation, par Adrian Lyne, de Lolita. Le film est si navrant qu’on passe deux heures à tempêter intérieurement : « ce détail-ci… celui-là… comment peut-on inventer de la sorte ? prendre pareille liberté avec un grand texte ? » Rentré chez soi, on reprend le grand texte. Ô surprise : ce mauvais film était, jusque dans le moindre frémissement, fidèle à la lettre du livre de Nabokov… Trahir un chef-d’œuvre en lui restant fidèle.

Aragon, dans Le con d’Irène : « moi, par exemple, je ne pense pas sans écrire : je veux dire qu’écrire est ma méthode de pensée »…

Que faire face à Le Pen ? Réponse de Guy Konopnicki dans un petit livre, Manuel de survie au Front, qui sort ces jours-ci (Éditions Mille et Une Nuits) et que la classe politique, à six semaines des régionales, ferait bien de méditer. Le Front national, dit premièrement Konop, se veut « républicain » : erreur ! c’est un parti qui, par les idées et par les hommes, plonge ses racines dans le terreau du doriotisme, c’est-à-dire du fascisme tricolore. Le Front national se veut « français d’abord » : imposture ! c’est un parti qui, dans toutes les crises internationales où son pays se trouve impliqué, prend systématiquement le parti de l’ennemi – FIS en Algérie, Saddam en Irak, Flamands antifrançais en Belgique, etc. Le Front national se veut le « Monsieur Propre » de la politique : troisième erreur ! troisième imposture ! ce parti est, en réalité, le plus compromis de tous dans les histoires d’argent sale, de voyoucratie locale, de petit et grand banditisme…

Camus : « mal nommer les choses c’est aggraver le malheur du monde. » Rappeler le mot à ceux qui répugnent à donner aux massacres en Algérie leur nom : des massacres islamistes, commis au nom de l’islam et qui, sans mettre évidemment en cause l’esprit, ni même la lettre, du Coran, restent inintelligibles hors de cet horizon théologico-politique. Pour comprendre l’Algérie, relire aussi Spinoza. Et Voltaire.

Karla Faye Tucker, encore. Cette atmosphère de veillée mortuaire mondiale. L’humanité entière, ou presque, suspendue aux lèvres de la jeune femme et à celles du gouverneur sans âme. Comme c’est étrange, quand on y songe ! Voilà un monde qui ne perd, c’est le moins qu’on puisse dire, aucune occasion de dire le peu de prix qu’il accorde à la vie. Voilà une humanité qui, le même jour, dans les mêmes journaux télévisés, donne mille et une preuves de son indifférence à la loi du meurtre qui prévaut, par exemple, en Algérie. Et la voilà donc, cette humanité, qui retient son souffle, s’arrête au bord du chemin et, gravement, se demande : « avons-nous le droit, après tout ? y a-t-il rien de plus précieux, en ce monde, que la vie d’une jeune femme qui, etc. ? » On hésite sur le sens à donner à cette espèce de syncope, d’interruption dans la sauvagerie : paradoxe, tartufferie suprême, exception magnifique, ou remords ?


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