Aube grise et lourde du XXIe siècle. Déconfiture molle, fastidieuse, du XXe. Heureusement, le Vatican est là pour nous dire : « patience ! cela ne fait que commencer ! l’humanité entre à peine dans le commencement de la dernière année du siècle ». La dernière chance des allumés du millenium. Un tout dernier espoir pour les déçus du passage à l’an 2000.
Chez le Rabbi Pinhas, disciple du Baal Shem Tov, cette explication du commandement d’amour qui semble, soudain, si lumineuse – une sorte de glose ou de justification juive du plus énigmatique des commandements chrétiens : nous devons aimer le plus méchant des hommes pour compenser, par cet amour, le manque d’amour dont il est responsable, pour réparer le tissu du monde que sa méchanceté a déchiré.
Qu’il n’y ait plus de catastrophes dites naturelles, qu’il ne puisse ni ne doive y avoir de tempêtes, ni de tremblements de terre, ni de crues ou déluges de boue meurtriers, sans que soit aussitôt désignée, derrière l’événement, la main du diable, c’est-à-dire de l’homme, c’est un reste de mentalité archaïque, notre dernière superstition – ou peut-être, au contraire, une nouvelle manifestation des modernes philosophies du soupçon. Sous la plume d’un de ces modernistes, pourfendeur de la pensée unique, cette formule : la « mondialisation du climat »…
Tellement plus juste, dans Les chemins qui ne mènent nulle part, cette observation de Heidegger : il y a une histoire des choses, donc aussi des paysages et donc, tout autant, des climats, de leurs régularités muettes, de leurs dérèglements catastrophiques. Heidegger dit bien : une histoire des choses. Il insiste ; il y a une histoire qui n’est pas celle des hommes et où les hommes n’ont pas leur part. L’antihumanisme heideggerien, ou le plus efficace des contre-feux à la sombre fantaisie des causalités diaboliques.
L’islamisme radical est l’ennemi de l’Occident, c’est entendu. Il l’est partout, en toutes circonstances – y compris donc, comme le dit Samuel P. Huntington cité par Jean Daniel (Le Nouvel Observateur du 5 janvier), en Tchétchénie. Mais reconnaître cela doit-il nous dissuader de regarder plus loin ? Depuis quand la désignation d’un ennemi dispense-t-elle d’en reconnaître un autre ? Les islamistes, oui. Mais aussi ces autres assassins qui, pour extirper un éventuel terrorisme, pour répondre à des bombes qu’ils ont peut-être eux-mêmes fait exploser, bombardent les femmes et les enfants de Grozny, menacent de raser la ville et se lancent dans une des plus formidables guerres punitives de l’Histoire contemporaine. Un autre intégrisme. Une autre vision noire, cataclysmique, de l’Histoire. Et, sous le masque glacial de l’ex-kagébiste Poutine, une autre menace pour les démocraties occidentales. Réapprendre à compter jusqu’à deux. Refuser de choisir entre Poutine et les « barbus ».
Le plus surprenant, le plus désespérant, dans la Russie de Vladimir Poutine : la popularité de la guerre. Un pays où rien ne marche, sauf la guerre. Une société qui ne croit plus à rien, sauf à la guerre. Un lien social qui, au fond, est peut-être en train de se réduire au seul désir de guerre. Ôter ce désir de guerre. Dissoudre ce dernier ciment qu’est la haine de l’autre, aujourd’hui tchétchène, demain ouest-européen ou américain. Il n’est pas sûr qu’il reste grand-chose de la socialité postcommuniste en Russie.
Le corps obèse de Boris Eltsine. Et, en contrepoint, dans les magazines qui, la semaine de sa démission, retracent sa carrière politique, ces photos d’autrefois : il est en maillot de bain, sur une plage, svelte, étonnamment jeune, corps d’athlète ou d’acteur des années 30. C’était il y a sept ans. Et on dirait un autre homme, une autre époque – jusqu’au noir et blanc des clichés qui semble nous renvoyer dans un lointain passé. Tout est allé si vite ! Le premier chef de l’État russe postcommuniste, le symbole du passage à la démocratie, le jeune Eltsine debout sur son char, défiant les putschistes de 1991, est si vite devenu ce tsar mafieux, bouffi d’alcool et de cruauté ! Jusqu’à ce corps épais qui, en une bien éloquente grimace du destin, rappelle celui des hiérarques brejnéviens. Revanche de la physiologie. Du retard de la politique sur les corps.
Peut-être Jamel Debbouze est-il un provocateur. Peut-être ce formidable acteur jouait-il la comédie jusque dans la scène où on le voit plaqué au sol, inanimé, entre les policiers qui viennent, dit-il, de le frapper. Il n’empêche. Supposons un seul instant que Debbouze se soit appelé Bedos. Imaginons qu’il ait eu la tête de Palmade ou de Laurent Gerra. Imaginons que les CRS, ce soir-là, l’aient tout simplement reconnu. Rien ne se serait produit. Cette coproduction Debbouze-CRS n’aurait pas fait la une de nos journaux. Et la police républicaine nous aurait épargné ce qui restera sa première bavure de l’an 2000.
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