Ces romans contemporains que l’on dirait dopés, et comme sous perfusion. Ce dopage-là, que l’on me pardonne, me préoccupe bien plus que l’autre.

On a tout dit de Romain Goupil et de son film. Sauf ceci : que c’est le moins théâtral des cinéastes français contemporains. Dit autrement : humour, mouvement, court-circuit du rire et de l’émotion, lenteur réinventée, montage affectif, rythme, poésie extrême du cadrage – la caméra dans le landau, version cinématographique du geste de Kafka proposant, dans les Lettres à Felice, de mettre les « machines à fantômes » (cinéma, téléphone…) dans les « appareils de translation » (train, bateau…). Dit encore autrement : aller, sans tarder, voir Une pure coïncidence, depuis hier sur les écrans.

La dernière de Le Pen sur le président de la République : « si Chirac avait présenté son bilan devant une assemblée générale… » On n’ose poursuivre tant le propos est vil, insultant pour la fonction presque autant que pour l’homme, indécent. Je regarde Le Pen. J’observe ce côté rageur et mou qu’il a, comme chaque fois qu’il passe à la télé. Et je ne peux m’empêcher de penser, une fois de plus, au célèbre portrait de Himmler, par Malaparte, dans Kaputt. Le même air de stupidité repue. La même jactance. La même façon d’enfler la poitrine et de lever le menton quand il se prépare à vomir sur l’adversaire. Et la même sourde violence, enfin, qui vient à fleur de lèvres et laisse deviner l’autre Le Pen, terrible, révélé par l’enquête du Monde daté du mardi 4 juin. Le Pen, ou le cauchemar français.

L’époque de « Loft Story » ? Le désir de visibilité frénétique dont cette affaire est l’expression ? Ce mot génial de Brecht : « l’homme pauvre, désormais, c’est l’homme invisible. »

Eût-il mieux valu ne pas publier le livre d’Oriana Fallaci, me demandent de nombreux lecteurs après ma chronique d’il y a quinze jours ? Non, bien entendu. On n’a jamais intérêt à ne pas publier un pareil livre. Et la politique de l’autruche est, par principe, si odieuse que soit une thèse, la pire des manières de la combattre. La règle vaut pour Céline dont j’ai dit, à maintes reprises, qu’on devrait rééditer Bagatelles pour un massacre. Elle vaut, toutes proportions gardées, pour Fallaci dont le livre est un hoquet, un lapsus, un symptôme, de l’époque et de ce qu’elle charrie de pire, mais qui ne devait, pour cette raison même, sûrement pas être censurée. Le livre est détestable, je le répète. Mais la dernière des solutions eût été de l’interdire au public français.

François Hollande déjà candidat à un poste de Premier ministre dont il n’est, pour l’heure, aucunement question – et cela, contre Fabius et Strauss-Kahn, les deux responsables socialistes qui disposent d’une culture de gouvernement en même temps que d’une forte stature nationale. On songe au mot de Nietzsche : on a toujours à défendre les forts contre les faibles. On songe à toute la problématique nietzschéenne de la puissance : qui veut la puissance au sens trivial du terme ? qui veut les valeurs établies, les honneurs, le pouvoir ? eh bien les faibles de cette sorte ; ceux que Nietzsche appelle les esclaves.

Le coffre aux âmes, du cancérologue David Khayat (XO). Un « thriller médical », dit-il. Une intrigue médicalo-policière bouclée sur elle-même et son secret. Sauf qu’on comprend très vite que l’histoire ne commence pas là, à la première page du livre, mais avant, bien avant – un peu comme ces tableaux dont on sent que le cadre ne les cerne pas mais les ouvre sur le dehors. C’est un vrai roman. Le narrateur, double de l’auteur, y est un vrai narrateur. Mais le sujet, c’est ce hors champ qui vous fait sauter dans la marge du livre en direction de l’infini de la souffrance des hommes qui est, on l’imagine, l’ordinaire de la vie de David Khayat. C’est, évidemment, ce qui rend l’ensemble de l’aventure passionnant.

A ceux qui doutent de la distinction entre les « deux islams », à ceux qui ne comprennent pas bien ce que je veux dire quand je demande que l’on ne confonde pas Sadate et ses assassins, Massoud et les kamikazes venus le tuer, je recommande deux livres : Son mari a tué Massoud, de Marie-Rose Armesto (Balland) ; et Ils ont assassiné Massoud, de Jean-Marie Pontaut et Marc Epstein (Laffont). La vraie scène primitive de l’époque qui, en principe, commence le 11 septembre.

Les seuls prophètes d’aujourd’hui, les derniers que l’on écoute encore religieusement, sont-ils les traders, brokers, et autres prophètes de la Bourse ?

Reçu, encore, le Jean Cavaillès d’Alya Aglan et Jean-Pierre Azéma (Flammarion), où l’on voit se nouer le nœud, souvent évoqué ici, de la doctrine de la science et de l’esprit de résistance. Y revenir ?

Les anti-lepénistes, en cette veille d’élections, sont une multitude mais ils ne font plus nombre. C’est, en langue leibnizienne, l’autre nom d’une démobilisation.


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