Pourquoi continue-t-on de dire « guérilla marxiste » quand on parle des FARC ? Je leur avais, naguère, dans Le Monde, consacré un reportage qui m’avait conduit à San Vicente del Caguan, cette zone dite libérée, en pleine forêt amazonienne, où Ingrid Betancourt sera kidnappée quelques mois plus tard et où elle est aujourd’hui emprisonnée. La conclusion, déjà, sautait aux yeux. Une phraséologie marxiste, sans doute. Un vernis communiste. Mais qui n’étaient là que pour masquer une idéologie et une activité mafieuses : Ivan Rios – le plus haut gradé, parmi mes interlocuteurs, dans la hiérarchie de l’organisation – m’expliqua même, sans se gêner, que, la coca étant une « ressource naturelle colombienne », le narcotrafic, dès lors qu’il échappe aux lois d’airain de la mondialisation, est une activité « révolutionnaire » ! Un communisme trafiquant, somme toute. Un communisme à visage gangster. Ce qu’il a toujours été ? Peut-être. Mais, là, sans écran ni scrupules. Sans alibi. Pas même – à bon entendeur… – celui de l’admirable Ingrid Betancourt, cette femme-symbole pour nous, cette pure monnaie d’échange pour eux.

Et si l’événement le plus prodigieux de la récente campagne présidentielle était le score de Marie-George Buffet et la quasi-disparition de notre Parti communiste ? Je me posais la question, l’autre jour, en voyant, dans le nouveau livre de Jacques Henric, Politique (Seuil), la place qu’a pu occuper, pour un intellectuel des années 1960, et même 1970, la question de ses rapports avec ce que l’on n’appelait, alors, que « le Parti » . Temps où un mot d’Aragon faisait et défaisait une gloire. Temps où une bonne critique dans L’Huma valait plus que, aujourd’hui, un passage à la télé. Et temps, enfin, où le prix Staline de littérature, André Stil, présentait, dans un cocktail littéraire, son vieux copain maurrassien Jacques Laurent au jeune Henric éberlué. Temps perdu, et bien perdu. Temps disparu. Inimaginable temps d’une planète engloutie et, pourtant, historiquement si proche. Témoignage de première main. Informations nombreuses, précises, parfois terribles. Vichy-Moscou comme si l’on y était.

Je n’ai rien contre Barnave. Mais enfin… Aller chercher ce sympathique révolutionnaire, condamné et guillotiné pour, si j’ai bonne mémoire, avoir entretenu avec Marie-Antoinette une correspondance suspecte, et donner son nom à un groupe de cent personnalités opposées au retour en politique d’Alain Carignon : la démarche est-elle bien raisonnable ? et bien digne ? et n’y a-t-il pas, en démocratie, un principe fondamental qui veut que, lorsqu’un homme a été jugé, condamné, et qu’il a, comme on dit, purgé sa peine, la page est réputée tournée et il retrouve l’intégralité de ses droits ? Raisonner autrement c’est juger à la place des juges. C’est juger, plus exactement, que les juges n’en ont pas fait assez et qu’on va, nous, citoyens, en rajouter une dose pour, en l’espèce, condamner l’intéressé à la perpétuité ou, pire, à la mort politique. Très précisément le type de justice sauvage contre laquelle Barnave s’est battu – et dont il est mort.

Dans La Fortune, la chance, Marcelin Pleynet, secrétaire de L’Infini, la revue de Philippe Sollers, me cherche courtoisement querelle sur ma lecture de Sartre. Le siècle de Sartre, dit-il, d’accord. Mais lequel ? Le XXe, vraiment, ou le XIXe ? Le siècle de Proust auquel l’auteur des Chemins de la liberté n’aurait « pas vraiment accès », de Joyce qu’il n’aurait pas lu, de Céline qui lui a fourni l’exergue de La Nausée mais à l’aventure duquel il serait resté désespérément étranger – ou le siècle de Flaubert, Bourget, Gide ? Le siècle, en un mot, de cette « expérience des limites » dont un autre de ses contemporains, Georges Bataille, tirera toutes les conséquences, ou celui de cette « littérature du fini » dont il lui est arrivé, lui-même, Sartre, de faire l’éloge ? Eh bien, les deux, cher Pleynet. Un Sartre parti de Gide, en effet, mais pour arriver à Céline et inventer – c’est ma thèse – une bonne part de la modernité littéraire.

Un mot que je ne supporte plus d’entendre, s’agissant du Darfour : le mot « guerre ». Car il ne s’agit pas d’une guerre. Ce ne sont pas des factions en lutte pour, comme on le lit partout, le contrôle des richesses du pays. Il n’y a pas, encore moins, de forces « darfouries » s’opposant à l’armée régulière soudanaise et que celle-ci tenterait de réduire. La réalité – que j’ai vue – ce sont des pauvres gens bombardés par des Antonov. Ce sont d’humbles villages effacés, en entier, de la surface de la terre. Ce sont des femmes, des vieillards, des enfants, soit chassés de leurs maisons, soit éventrés, décapités, brûlés vifs, par ces terribles escadrons de la mort que l’on appelle les Janjawids. Le tout à l’initiative du gouvernement islamiste de Khartoum et avec la bénédiction, pour l’instant, de la communauté internationale… Le nouveau ministre français des Affaires étrangères a dit que mettre fin à ce carnage, peut- être ce génocide et, si l’on tient vraiment au mot, à cette guerre contre les civils, était sa « priorité » : soit – mais il faudra, pour cela, plus que des « corridors humanitaires ».


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