Dans les Entretiens de Daney avec Toubiana qui paraissent, ces jours-ci, chez POL, cet éloge de Nuit et Brouillard – le seul, en vérité, que tolère ce type de film : « Un beau film ? non ; un film juste ».

Rushdie exaltant Sarajevo. C’est dans Libération de ce matin et je vois que cela surprend. Pourquoi ? C’est la même chose, pourtant. Car c’est le combat, dans les deux cas, des lumières contre l’obscurantisme, de la liberté contre l’intégrisme. Et c’est également le combat, qui sera celui de la fin du siècle, pour un Islam laïc, réconcilié avec les droits de l’homme, la démocratie, la tolérance. Quand Rushdie ira-t-il à Sarajevo ? Il le désire, je le sais. Il y sera le bienvenu, je le sais aussi. Ne manque que l’accord de ceux – car ce sont, au fond, les mêmes – qui tiennent, et Sarajevo, et Salman Rushdie, prisonniers.

Cette scène du Mémorial de Las Cases, reprise par Rosselini dans un de ses fameux entretiens aux Cahiers. Le jeune Napoléon au siège de Toulon. Il a peur, tout à coup. Un officier, près de lui, s’en étonne : « Mais tu trembles comme une feuille ! » Et cette réponse du futur empereur : « Si tu avais la peur que j’ai, tu aurais foutu le camp depuis longtemps ».

Le livre de José Cabanis sur Dieu et la NRF. Ma surprise, comme chaque fois, devant cette grande affaire – brûlante et secrète, vitale et presque clandestine – que fut la « conversion » chez la plupart de ces écrivains. Mais également ce mot, glané au détour d’une page – le dernier de Valéry Larbaud, celui qu’il ne cessera plus de ressasser car c’est le seul qu’il peut encore proférer après son accident cérébral : « Bonsoir les choses d’ici-bas ». Aussi terrible, et aussi beau, que le « Crénom » de Baudelaire.

Le Premier Homme de Camus. Tardé à le lire. Car éternel problème des brouillons d’un écrivain. Publier ? Ne pas publier ? Et si on publie, comment ? Sur quel registre ? Sur quel ton ? Ma position, finalement – et en dépit du malaise : il faut que les textes sortent ; oui; tous les textes ; le seul problème, c’est le paratexte.

Nombreux courrier à la suite de ce que je disais l’autre semaine du livre de Colombani et de la nécessité, pour la gauche, si elle veut renaître et rester la gauche, d’oublier le « socialisme ». L’affaire est pourtant simple. C’est énorme, un nom. C’est comme une sorte d’aimant. D’attracteur de mémoire et de sens. Ça amène à vous, non seulement des gens (c’est-à-dire une sociologie) mais une tradition (c’est-à-dire un destin). Et la vérité, la voici : quand ça va mal dans les noms, ça va mal dans les têtes ; quand ça va mal dans les têtes, ça va mal dans les choses ; et tant que ce parti s’appellera « socialiste », tant qu’il portera ce nom usé, plombé, presque vérolé, tant qu’il s’encombrera de ce mot dont Camus, justement, disait qu’il est « comme une brûlure pour la moitié de l’humanité », il sera cet appareil maudit que l’on verra, sous nos yeux, jour après jour, se désagréger.

L’Europe passe plus de temps à réglementer la chasse à la palombe qu’à interdire la chasse aux Bosniaques. Le mot est de Michel Rocard. C’est la vraie phrase « de gauche » de la semaine.

La victoire de Mandela est un événement plus lourd de conséquences que la chute du Mur de Berlin. Le mot est de Roland Dumas. C’est le type même du faux mot de gauche, de la petite phrase facile, étourdie, irresponsable.

Un ami musicien. Avec ce projet de loi sur la langue française on avait déjà du mal à avoir envie d’un « hot dog », d’un « hamburger », ou d’entrer dans une « pizzeria ». Mais quid, maintenant, de la musique ? Quelle langue devra-t-elle parler ? Faudra-t-il dire « en avant » pour « andante » ? « Calmos » pour « adagio » ? Et « allègre mais pas trop », pour « allegro ma non troppo » ?

Le fascisme est une « ruine pitoyable » écrivait Pasolini, il y a vingt ans, presque jour pour jour, dans un de ses Écrits corsaires. Où en serait-il aujourd’hui ? Que dirait-il de cette vraie « ruine pitoyable » que devient l’Italie à l’heure où les néofascistes entrent au gouvernement ?

A propos de fascisme, ce procès, apparemment « parisien », entre un histrion des lettres et une critique littéraire – Josyane Savigneau. Dignité de l’insultée. Infamie de l’insulteur. Bassesse du procédé qui consiste, pour faire passer l’infamie, à convoquer la tradition pamphlétaire en général, la liberté de parole muselée, l’insolence nécessaire, le scandale et ses prestiges, la littérature et ses pouvoirs – j’en passe, mais suis certain de ceci : nous avons, nous aussi, nos critères ; et nos clignotants ; et nos alertes rouges ; allez savoir si la diabolisation des critiques, le fait de les traîner dans la boue, la haine de la critique en soi, ne seraient pas l’analogue, dans les lettres, de la haine de la politique ! Phobie de la médiation. Symptomatologie, commune, du délire.

Alain Minc à France Inter. Sortir du socialisme c’est bien, dit-il. Mais en sortir par le populisme ce serait, hélas, presque pire. Le populisme ? Eh oui ! Il a, en France aussi, un visage – qui est celui de Bernard Tapie. Mine cropose un débat public. L’intéressé, aux dernières nouvelles, se dérobe. Dommage.


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