Un autre trait insuffisamment remarqué dans l’en- quête, depuis le milieu de l’été, sur les attentats évités de Londres : toutes ces images vidéo qui n’en finissent pas de sortir et où l’on voit les terroristes surpris à la sortie de chez eux, du métro, d’un taxi, d’un magasin, le matin même, ou la veille, ou à huit ou quinze jours, de ce qui devait être le grand soir de leur passage à l’acte. Ce sont des images floues, naturellement. Ce sont des images sans opérateur où l’on ne distingue jamais très bien ni ce que font les gens ni leurs traits. Mais enfin ce sont des images tout de même. Et il est fascinant – et heureux ! – de voir combien ces hommes qui se voulaient des professionnels de la clandestinité ont, finalement, été filmés. Principe de base de la société spectaculaire : rien n’échappe au tout-puissant visible. Théorème de principe : il y a toujours, partout, à tout instant, une caméra qui tourne.

Question d’Amos Oz dans la série de petits textes que rassemble Gallimard et qu’il a consacrés, ces dernières années, au drame du Proche-Orient : pourquoi les romanciers (David Grossman, A.B ? Yehoshua, lui-même…) sont-ils, en la circonstance, meilleurs politiques que les politiques ? Réponse : parce que la politique, c’est l’imagination ; parce que la bonne politique consiste, si l’on est israélien, à s’imaginer dans la peau d’un Palestinien et, si l’on est palestinien, dans celle d’un Israélien ; et parce que ce sont les romanciers qui sont, à ce jeu-là, par la force des choses et du métier, les champions incontestés. Après quoi rien n’est réglé, naturellement. Car reste l’aporie des deux images ; le heurt de leur double légitimité ; reste le caractère tragique, littéralement tragique, de cette querelle interminable (« tragique » signifiant le conflit, non du Mal et du Mal, mais du Bien et du Bien, d’une cause juste et d’une autre cause juste – « tragique » désignant l’insoluble débat de l’Impossible et du Nécessaire).

Il y a un chapitre désopilant dans le livre de Yann Moix Panthéon. C’est le chapitre où, dans la tradition des Dibbuks de la littérature yiddish ou post-yiddish (La danse de Gengis Cohn, par exemple, de Romain Gary), il met en scène un personnage qu’il appelle « le Fascisme de Mitterrand ». Ce chapitre est drôle. Fort. Il dit des choses justes – que ne désavouera pas l’auteur de L’idéologie française – sur la spécificité du fascisme français par rapport à ses rivaux allemands ou italiens. Or voilà des critiques – Didier Jacob, dans Le Nouvel Observateur – qui, en vertu de la bonne vieille méthode qui consiste, primo, à caviarder les citations et, secundo, à coller à un auteur les propos de son personnage (en l’occurrence, donc, les propos de cette allégorie burlesque, presque ubuesque, d’un « fascisme » qui ne parviendrait pas à « prendre » dans la tête de l’ancien président), imputent à Moix des déclarations du type « le Hitler du fascisme, c’est Picasso ». Allons, amis du NO ! Pas vous ! Pas ça ! Pas ces procédures qui, en d’autres lieux, sous d’autres plumes, ressortiraient à la pure police de la pensée !

Qu’il se trouve des anticléricaux irréductibles pour ne pas aimer l’idée que la place du Parvis-de-Notre-Dame soit rebaptisée place Jean-Paul-II, je peux le concevoir. Mais que ces gens défilent, comme ils l’ont fait le week-end dernier, aux cris de « Delanoë honore un assassin » ou « 25 millions de morts du sida, Delanoë a oublié », voilà qui laisse rêveur. Car quid, chers élus Verts et radicaux, des morts du communisme ? Quid du rôle de Karol Wojtyla, puis de Jean-Paul II, dans la guerre de longue durée contre ces authentiques assassins que furent les maîtres de feu l’Empire soviétique ?

Ce pays en général, et Paris en particulier, a, sans que cela vous pose apparemment de problème, des rues Lénine voire, naturellement, et en pagaille, Robespierre, Saint-Just, Marat, j’en passe – et l’intolérable naîtrait dès lors que l’on rebaptise une place du nom de l’un des plus incontestables hérauts de l’idée démocratique au XXe siècle ? Comme c’est étrange…

Jack Lang à Téhéran. Hier à Damas, aujourd’hui à Téhéran. Mais pourquoi diable ce voyage ? A-t-il rencontré des dissidents ? Parlé à des opposants ? A-t-il, comme il le fit, naguère, à Prague ou à Belgrade, porté le témoignage de la société civile française à la société civile iranienne en lutte contre la dictature ? Est-il allé à l’exposition des caricatures de la Shoah ? A-t-il demandé à ses instigateurs pourquoi, comme dit Cavanna dans Charlie Hebdo, quand des Danois insultent le Prophète, c’est aux juifs que l’on s’en prend ? A-t-il dit à Ahmadinejad (ou, Ahmadinejad n’ayant pas daigné le recevoir, au « proche conseiller » d’Ahmadinejad qu’il a rencontré) ce qu’il pensait du projet de colloque négationniste annoncé par le régime ? A-t-il, fort de son autorité et de son passé, fait savoir que le président d’un grand pays, héritier d’une civilisation bimillénaire, ne peut pas parler ainsi, comme il le fait à tout bout de champ, de rayer un autre pays de la carte ? Non hélas. Il n’a rien dit de cela. Et c’est pourquoi, quelque amitié, considération, que l’on ait pour lui, il est difficile d’imaginer sans un certain malaise ce face-à-face absurde, inutile et, pour tout dire, assez désolant avec les nouveaux spécialistes de la manipulation de l’« idiot utile » qui l’ont baladé pendant deux jours.


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