Giscard d’Estaing recommande de négocier avec le FIS. Quel étrange raisonnement ! Avec un FIS faible, il fallait donc se montrer intraitable. Avec un FIS fort, donc encore plus dangereux, il faudrait composer et, au fond, s’incliner. N’est-ce pas très précisément ce que l’on appelle un raisonnement munichois ?

Je lis que Bernard Kouchner, écœuré par des mois d’humiliations répétées de la part de ses alliés, songerait à jeter l’éponge et à abandonner la politique. J’oublie un instant ma sympathie pour l’homme. Je trouve juste très inquiétant ce spectacle d’une classe politique frileuse, fermée sur soi – qui ne semble, une fois de plus, occupée qu’à rejeter le corps étranger. De Servan-Schreiber à Kouchner, cette façon de chasser les francs-tireurs, esprits libres et autres irréguliers dont elle aurait, pourtant, si grand besoin pour retrouver son style, son souffle et sa santé.

C’est pour la bonne cause, de Jacques Fansten, est d’abord une comédie, désopilante, qu’iront voir tous ceux qui avaient aimé La fracture du myocarde et Roulez jeunesse. Mais cette histoire d’un enfant qui, à l’insu de ses parents, puis avec leur complicité, accueille et cache un petit Africain est aussi une fable où, mieux que dans bien des colloques et traités savants, s’expriment les contradictions, les impasses, l’hypocrisie et, aussi, la grandeur du système humanitaire. Que fait-on quand on fait le Bien ? La part, dans notre générosité, de l’amour-propre, de l’amour de soi, de la vraie bonté ? La télévision ? Le spectacle ? Comment se résout-on, quand on est une famille de petits-bourgeois, menacée par le chômage, la crise, etc., à prendre en charge la misère du monde ? Quid, enfin, de l’autre misère – celle des organisations humanitaires, de leurs intérêts de boutique et d’appareil ? Ces questions de fond, c’est à un cinéaste qu’il revient de les poser. Rassurant.

J’ai souvent rêvé d’une histoire de la littérature qui explorerait les livres que les écrivains n’ont pas écrits. Le « Pauvre Belgique » de Baudelaire… Les « Liaisons heureuses » de Laclos… La « Morale » de Sartre… Ou encore – si l’on veut bien admettre que l’auteur était aussi un écrivain – ce « Coup d’État du 2 décembre », annoncé pendant trente ans, mystérieux, dont Mitterrand, à la fin de sa vie, confiait qu’il n’avait pas renoncé à le donner et qu’Alain Minc, non sans audace, vient peut-être d’écrire à sa place… Philippe Séguin, fort de sa légitimité bonapartiste, a dit, ici même, tout le bien qu’il convenait de penser du livre. C’est en amateur d’énigmes littéraires que je reviens, moi, sur l’affaire : Minc partagerait-il ce goût de la littérature virtuelle ? aurait-il écrit le premier chapitre de cette anthologie rêvée des livres qui n’ont pas eu lieu ?

Algérie, encore. Nul ne sait si Giscard d’Estaing a parlé en son nom propre ou si c’était comme un ballon d’essai préparant d’autres prises de position. L’impression qui domine : que le but de nos responsables, gauche et droite confondues, est moins d’aider l’Algérie que d’éviter les attentats en France. Alors, tantôt on soutient Monsieur Zeroual dans sa volonté d’« éradication » brutale, souvent barbare. Tantôt on dit : « bon, voilà, il n’y parvient pas, changeons donc de stratégie – et crèvent les Algériens pourvu que nous ayons, nous, la paix ». Politique à courte vue. Refus de la politique.

Mort de Pamela Harriman, l’ambassadrice des États-Unis en France. Elle aimait tellement Paris ! Et Paris, aujourd’hui, le lui rend si bien ! Je la revois, il y a deux ans, la nuit des bombardements alliés sur Sarajevo, lors de ce dîner improvisé qu’elle avait donné à la Résidence et où était apparu, à l’improviste, le président bosniaque Izetbegovic. Cette intelligence souriante. Cette façon de feindre de ne rien savoir pour vous contraindre à vous découvrir. Son charme aussi. Cette beauté étrange qui défiait les atteintes du temps. Madame Harriman faisait partie de ces êtres qui ont décidé, un beau jour, de se fixer sur un âge, de s’y tenir – et qui y parviennent, finalement, assez bien. Ses jambes fines qui émergeaient, ce soir-là, d’une robe sac façon Courrèges années 60. Son visage de poupée. Son regard d’émail bleu. Cette façon de dévisager les hommes puis de baisser pudiquement les yeux, qui trahissait la séductrice de talent. Je savais ce que l’on disait, dans la ville, de son passé follement romanesque. Je me souvenais de la façon gourmande dont Mitterrand, quelques jours avant de recevoir ses lettres de créance, interrogeait ses visiteurs sur la belle ambassadrice. La voilà entrée, pour de bon, au Panthéon des vraies grandes aventurières – aux côtés de Mata-Hari, Louise de Vilmorin, Inès Armand, Madame Rolland ou la princesse de Belgiojoso.

Tapie en prison. La France voulait une image et une seule : celle de « Nanard », menottes aux poignets, entrant à la Santé. Il ne l’a pas donnée, cette image. Il la lui a bizarrement refusée. Et il y a dans ce refus, dans cette façon de se cabrer et de bouder les lois d’un système auquel il n’a jamais hésité, en toutes circonstances, de donner sa livre, non de chair, mais d’image, une manière d’aveu : « finie la comédie ; plus personne ne joue ; de ce nouvel épisode de ma vie je refuse, pour la première fois, de faire une péripétie de mon mirobolant destin ». Heure de vérité. Rupture biographique. Reste l’humble douleur d’un homme, seul en face de lui-même, et qu’il convient désormais, comme il semble le demander, de laisser en paix.


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