Libération de Matoub Lounes, le chanteur kabyle enlevé, il y a quinze jours, par les fondamentalistes algériens. Ce qui s’est passé ? La colère des Kabyles, voilà tout. Une mobilisation de tous les diables. Des manifestations monstres à Tizi Ouzou, et ailleurs. La fermeté, donc. Seulement la fermeté. Et la preuve, comme chaque fois, que, face aux situations de ce genre, face au terrorisme de toujours, et au terrorisme islamiste en particulier, il n’y a jamais, à la fin des fins, que la fermeté qui paie. Puisse la leçon être entendue. Puissent nos éminences prendre modèle sur la détermination, et le courage, des simples gens de Kabylie. A la guerre comme à la guerre : la seule force d’un refus – et c’est la Bête qui a reculé.
On a tout dit – et je n’aurai pas la cruauté d’y revenir – sur l’extravagant spectacle donné, au même moment, à Paris, par ce que l’on a appelé l’affaire Nasreen ; et j’ai parlé moi-même, chez Bernard Pivot, de cet « automatisme sécuritaire », ou de ce « munichisme-réflexe », qui devient comme la culture, ou la seconde nature, des démocraties. Un dernier mot, tout de même. Taslima Nasreen est célèbre. Elle a des amis. La presse entière la connaissait et a pris fait et cause en sa faveur. Que se passera-t-il le jour où ce ne sera plus une Taslima, mais dix, mais cent, mais des centaines peut-être, qui nous arriveront, mettons, d’Algérie et que ne précédera, cette fois, aucune réputation ? Nous y sommes presque. Cette nouvelle population de réfugiés se profile à l’horizon. Ce seront, non plus des boat-people, mais des culture-people dont le crime sera de penser et qui seront, pour cela, traqués par une vindicte qui les suivra, comme Nasreen et Rushdie, partout où ils iront. Soyons logiques : ils devraient, ces innombrables, ces obscurs, n’avoir droit qu’à un séjour de dix minutes, ou de dix secondes, dans la patrie des droits de l’homme.
New York. Les choses, ici aussi, vont vite. J’en étais resté, lors de mon dernier séjour, au « politiquement correct ». Mais voici venu le temps, peut-être encore plus fou, de l’« historiquement correct ». Cet universitaire de renom, porte-parole de la communautés black, qui soutient que Platon était africain. Cet autre professeur, non moins respectable et docte, qui « révèle » à ses étudiants qu’Aristote était présent lors de l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie, qu’il a participé à sa mise à sac et que la preuve est donc faite qu’il a « volé » sa philosophie aux Égyptiens. Ce troisième encore, spécialisé, lui, non plus dans les Afroamerican studies, mais dans les Native american matters, qui explique (et ce sera, me dit-il, le thème de son cours de l’an prochain) qu’il a trouvé la source cachée de la Constitution américaine et le vrai modèle dont se sont inspirés ses rédacteurs : la structure tribale… des Indiens Algonquin ! Délire communautaire. Révisionnisme généralisé. Balkanisation d’une mémoire dont chaque minorité, afin de se glorifier, s’approprie – et réécrit – un lambeau. Sartre : « L’Amérique a la rage. »
Poussée de l’extrême-droite à Anvers. Victoire, en Autriche, de l’homme qui croit, et dit, qu’Hitler a eu le mérite de « régler le problème du chômage » en Allemagne et que les rues de Vienne étaient « sûres », au temps de l’Anschluss et du nazisme. L’Italie où le « postfasciste » Gianfranco Fini dépasse, dans les sondages, le « télépopuliste » Berlusconi. La Grèce, avec son nationalisme de plus en plus échevelé, et « socialiste ». Et la France ? En France, l’étrange silence du Front national – comme s’il attendait, lui, le jour où le reality show joué, aux marches des Palais de Justice, par les juges anti-corruption, aura produit ses effets pervers. L’Etat sera abaissé. La classe politique – qui y aura mis du sien – discréditée. La politique, tout entière, sera devenue une variante de la prophylaxie. Et qui sait s’il ne se trouvera pas alors des Français, en très grand nombre, pour aller chercher, hors de l’« établissement », des hommes aux mains supposées « propres » ?
Si Labro était américain, on parlerait de ses héros comme de ceux de Salinger. Si Labro était une femme, on dirait qu’il a écrit le meilleur Sagan de la décennie. Si Labro était vieux, ou mort, ou les deux (si, si, cela arrive, les cas sont assez nombreux), on lui donnerait évidemment le Concourt. Si Labro ne dirigeait pas une radio, s’il n’écrivait pas dans les journaux, s’il n’avait pas fait des films, s’il n’avait pas le très grand tort d’avoir du succès et de s’en réjouir, s’il consentait, enfin, à être moins vivant, et moins visible, on le traiterait comme on traite tant de faux écrivains à qui il suffit, souvent, de se draper dans la pose et que l’on croit sur parole, sur la mine, sans examen. Bref, si Labro n’était pas Labro, on dirait qu’avec Un début à Paris, il vient de nous donner, non seulement son livre le plus abouti, mais l’un des plus beaux romans de la saison. Malheureusement Labro est Labro. C’est-à-dire un drôle de personnage, comblé par la vie, recru d’honneurs et de bonheurs, mais qui a l’incroyable culot – et cela Paris ne l’admet pas – de faire savoir, de temps en temps, qu’il ne respecte, au fond, que la littérature et que c’est d’elle, et d’elle seule, qu’il espère, et attend, le salut. Courage, ami. Et patience. La littérature est meilleure fille que Paris. Elle finit toujours, à la longue, par honorer ceux qui la servent.
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