« Souverainisme », disent-ils. Cela s’appelle un détournement de mot. Et, pour les « amis de la souveraineté » (Platon), pour les lecteurs de Bataille (et de Nietzsche), la faute est à peine moins odieuse que les détournements de fonds, de mineurs, etc., habituellement sanctionnés par la loi.

« L’élection du président du RPR n’est pas un concours de beauté », s’exclame Philippe Séguin dans un noble élan de vertu. Il a tort. Voir les ambitions de Warren Beatty, probable candidat à la candidature pour la présidence des États-Unis.

Clonage, suite et fin. Pourquoi faire tant d’histoires, demande Baudrillard dans son dernier livre (L’échange impossible, chez Galilée), à propos du clonage biologique quand on tolère depuis des années, sans piper, l’autre clonage, celui des âmes, qui voit les singularités se dissoudre, puis se reproduire à l’infini, dans le magma de la pensée, de la culture, de l’information uniques ? Avant le clonage génétique, le clonage culturel et social. Plus grave que la pensée du génome, la non-pensée des non-sujets devenus copies conformes les uns des autres.

Paul Reverdy : « plus je pense, moins je suis ». C’est, sous la plume d’un poète, la formule même du cogito au XXe siècle. Aux autres – Lacan, Foucault, Althusser, bref les « modernes »… – il ne restera qu’à renverser l’équation et la remettre sur ses pieds : « plus je suis, moins je pense ».

Un roman oublié de Roger Caillois, Ponce Pilate (Gallimard, 1961). On y voit Pilate, averti par un sage de Chaldée de la chaîne de conséquences qu’aurait la crucifixion de Jésus et comprenant donc, soudain, qu’il est en train, par son geste, de décider du cours de l’Histoire universelle. Il change, à la dernière minute, d’avis, gracie le condamné et réécrit, pour le coup, l’entière histoire des hommes. L’envers du Rapport Gabriel de d’Ormesson ?

L’internationale boursière, ses spéculations sans fin, ses anticipations de chaque instant, ses mouvements de capitaux qui vont plus vite que la lumière, ses achats à terme, ses glissements de terrain, ses tourbillons, ses trombes, ses avalanches d’argent fou que nul ne sait plus endiguer ni canaliser, ses gains et pertes en cascade, ses millions de micro-décisions qui font les macro-krachs ou les maxi-profits, ses milliards de dollars en suspension, ses voyages électroniques dans un empire – le dernier – sur lequel le soleil ne se couche ni ne se lève jamais, tout cela est donc apparemment suspendu à un mot, un signe, un battement de cils, un froncement de sourcils de monsieur Alan Greenspan, président de la Réserve fédérale et maître, à ce titre, de la « politique des taux » américaine. Cet homme est un colosse. Un titan. C’est l’Atlas de la planète boursière.

Jean-Toussaint Desanti : La philosophie, un rêve de flambeur (entretiens avec Dominique-Antoine Grisoni, Grasset). Veut-il dire que la philosophie ne sert à rien ? qu’elle se pratique en pure perte ? qu’elle est, elle aussi, un formidable potlatch, une dépense, où seule triompherait la loi du qui perd gagne ? Ou bien entend-il par là, comme les surréalistes, comme Breton dans Nadja, comme Desnos et les praticiens de l’écriture automatique, que les grands textes – Hegel, Parménide, Husserl, Platon, Borges, Dante… – sont comme des cartes à jouer, indéfiniment battues, abattues, dans cette partie de poker vérité que serait, en somme, l’histoire de la philosophie ? Ironie de l’histoire (ou fait exprès…) : Dominique Desanti, sa femme, publie, la même semaine, sa belle biographie de Robert Desnos (au Mercure de France).

Ces écrivains, dit Michel Beaujour (Terreur et rhétorique, éditions Jean-Michel Place), qui semblent accordés à la pénombre et dont les œuvres n’ont jamais plus de rayonnement que lorsqu’elles circulent de façon discrète, confidentielle, quasi clandestine ou ésotérique. Il cite Bataille. Je pense, moi, aujourd’hui, à Desanti – philosophe secret et maître des maîtres depuis cinquante ans.

Bernard Buffet était, avec Mondrian, le peintre de la ligne droite. Je lis qu’il était, dans les dernières années, atteint de la maladie de Parkinson qui est la maladie qui interdit de tracer, justement, des lignes droites.

Chardin, à un interlocuteur qui lui rebattait les oreilles de considérations sur les couleurs, les pigments, etc. : « on ne peint pas avec des couleurs, on peint avec des sentiments ». Soit. Mais je préfère, dans ce cas, Baudelaire lançant à un autre faux savant qui trouvait Delacroix moins bon coloriste qu’Ingres : « peindre n’est pas une affaire de couleur, ni de sentiment – mais d’idée ».


Autres contenus sur ces thèmes