Aéroports bloqués, vols annulés, agents du FBI à bord des avions, renforcement de la surveillance à la frontière mexicaine, canadienne, ailleurs : état de siège généralisé ; guerre civile planétaire ; on avait l’œil sur Huntington, on croyait devoir débattre avec Fukuyama, mais non, c’est Carl Schmitt qui l’a emporté.

Je me souviens de Jovan Divjak, le général courage de Sarajevo. Je me souviens de la stupeur de Mitterrand quand, avec Alija Izetbegovic, à Paris, nous lui avions expliqué : « eh oui, monsieur le président, un général d’origine serbe chargé de la défense de Sarajevo – c’est comme si Jean Moulin ou Delestraint avaient été allemands, c’est le miracle de cette Bosnie cosmopolite, citoyenne, antifasciste. » Divjak, aujourd’hui, écrit. Il s’apprête à publier ses Mémoires et me demande de les préfacer. Février prochain. Buchet-Chastel. Cela s’appellera, comme de juste, Sarajevo mon amour.

Mais oui, chers lecteurs, je persiste et signe à propos des images de l’arrestation de Saddam : il y a, depuis L’Orestie d’Eschyle, un grand principe fondateur de la civilisation – la substitution de la justice à la vengeance.

Mais non, amis lecteurs, je ne « défends » pas Michael Jackson : je dis juste que ce climat de chasse à l’homme, cet hallali médiatique et, désormais, judiciaire, ce proxénétisme organisé, sont intolérables – je dis que le problème c’est moins Jackson que les familles qui, depuis des années, lui vendent leurs enfants pour le faire chanter.

Dali s’inspirait de Freud. Les cubistes, d’Apollinaire. Il y a les douze portraits de Balzac par Picasso. Cézanne qui, pour sa « Vieille au chapeau », disait devoir l’essentiel à un « ton Flaubert, une couleur bleuâtre et rousse qui se dégage de Madame Bovary ». Il y a le peintre qui, comme l’Elstir de Proust ou le Frenhofer de Balzac, n’existe que dans l’imagination d’un écrivain. Eh bien, en voici un autre, voici un peintre bien vivant, lui, bien réel, qui s’appelle Lucio Fanti et qui nous dit que tout, pour lui, procéda d’un vers interrompu de Maïakovski. Un tableau comme un effet de texte ? Une œuvre comme un songe littéraire ? Un architexte habitant la profondeur de la couleur et structurant sa surface en secret ? Mais oui. Comme toujours. Ces très belles natures mortes, ces vignes saturées de lumière et de poésie (galerie Lavignes-Bastille, jusqu’au 17). La lettre était dans la toile et regardait l’artiste.

L’Iran, endeuillé, accepte, que dis-je ? sollicite, et c’est bien normal, l’aide de l’Europe, de la France, des Etats-Unis, de la planète entière, de Satan lui-même s’il le faut. Sauf qu’il y a un pays dont il ne veut pas. Il y a un pays, un seul, auquel il dit : « plutôt crever, et laisser crever les pauvres gens de Bam, que d’accepter quoi que ce soit venant de vous. » Ce pays maudit, réprouvé, ce pays plus-que-satanique, c’est… Israël.

Voir c’est lire ? Le texte au principe ? Oui. Mais aussi, bien entendu, l’inverse. Breton et Masson. Baudelaire et Rubens. Cendrars réinventant Sonia Delaunay. Char commentant Courbet. Segalen glosant sur Gauguin. Hofmannsthal, sur Van Gogh. Stendhal et la « Transfiguration » qu’il venait voir « six fois la semaine » et « cinq à six heures par jour ». Et donc Lucio Fanti, ce peintre que je connaissais à peine et dont je découvre à ma courte honte que trois, au moins, des écrivains que j’admire lui ont déjà consacré des textes. Calvino (1979). Semprun (1982 et 2003). Et surtout, plus étrange encore, un texte peu connu de Louis Althusser, écrit en 1977, avec cette phrase énigmatique sur sa relation à Maïakovski : « le souffle coupé d’un poète est encore un poème, qui dit pourquoi il acceptait de vivre. »

Les juifs, peuple de victimes devenu peuple de bourreaux ? Origine dans Hegel, « L’esprit du christianisme et son destin », où nous est dit ceci : « un peuple naturellement servile, structurellement esclave et voué à la déréliction ne peut accéder à la liberté qu’en esclavagisant les autres peuples. » Voilà. Nous y sommes. Faire du Hegel sans le savoir. Origines philosophiques d’une vulgarité contemporaine.

Kouchner a inventé le devoir d’ingérence. Peu, non seulement en France mais dans le monde, ont fait autant que lui pour les oubliés du monde. Il risque sa peau. Il se dépense sans compter. Il est de tous les combats, depuis presque quarante ans, pour la liberté et la dignité des hommes. Et voilà des « défenseurs des droits de l’homme » qui, confortablement installés dans les bureaux de leurs ONG, essaient de lui coller sur le dos une sale affaire de scandale pétrolier. On croit rêver. On sent les ficelles de la petite machination. Et on sait – je sais – que Bernard répondra, qu’il fera justice, très vite, de la sale calomnie. Mais quid de la fumée qui reste après le feu ? Quid de la remarque terrible de Debord, dans ses Commentaires : seule la première frappe compte – il n’y a, dans ces situations, jamais vraiment de deuxième frappe ?


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