C’est entendu : il n’y a pas de bonne solution en Syrie. Plus exactement : il n’y a plus de bonne solution depuis ce samedi de la fin août 2013 où l’opposition modérée avait encore une existence, où l’État islamique n’était pas encore sorti des limbes et où Barack Obama renonça, in extremis, à stopper la machine de guerre de Damas qui venait de franchir la fameuse ligne rouge, qu’il avait lui-même fixée, de l’utilisation des armes chimiques.

Mais il n’empêche.

Dans l’enfer des mauvaises solutions, il y en a une qui est plus mauvaise encore et qui est peut-être même la plus mauvaise de toutes : c’est celle de Vladimir Poutine.

1. Les Soukhoï russes ont visé, en priorité, les régions d’Idleb, Homs et Hama qui sont des zones où, selon tous les observateurs indépendants, « jihad-watchers » et autres lanceurs d’alerte qui scrutent les vidéos mises en ligne par les autorités russes elles-mêmes, n’est pas implanté l’État islamique. Ce qui veut dire que leur objectif, dans ce premier temps en tout cas, n’était pas les djihadistes mais l’ensemble de l’opposition, y compris démocrate, au régime de Bachar el-Assad.

2. Le but à peine dissimulé de cette intervention n’est pas, à partir de là, de contribuer à cette « lutte contre le terrorisme » qu’invoquent les éléments de langage du Kremlin, mais de remettre en selle, coûte que coûte, le régime qui l’a enfanté. Plus précisément, il est de sauver, après l’avoir soutenue à bout de bras, une dictature dont la diplomatie américaine et française a raison de dire qu’elle est responsable, non seulement de la montée en puissance d’un Daech qui était la dernière carte de Bachar el-Assad pour apparaître aux yeux du monde comme un moindre mal et un rempart, mais encore de la mort des deux cent soixante mille hommes, femmes, enfants victimes de sa folie criminelle.

3. Dira-t-on que le passé c’est le passé et que, compte tenu du désastre général, l’intervention russe aura au moins le mérite de stopper le processus ? Non. Car l’offensive se faisant à la Poutine, c’est-à-dire selon des méthodes éprouvées lors des deux guerres de Tchétchénie et dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles ne s’embarrassent guère des procédures et précautions en usage dans les armées occidentales, sa première conséquence sera, non de diminuer, mais d’augmenter le nombre de morts civils. Le monde s’est ému à juste titre de la terrible « bavure » américaine de Kunduz, en Afghanistan. Combien de Kunduz syriens seront-ils à déplorer du fait des frappes aveugles de l’aviation russe ? Combien de nouveaux carnages si l’on continue (ce n’est qu’un exemple, mais qui en dit long sur la tactique de Moscou) de privilégier les bombes gravitaires sur les missiles guidés ?

4. Les réfugiés. Comment peut-on croire une seule seconde que la méthode Poutine soit de nature à atténuer la tragédie des réfugiés ? En poussant des dizaines de milliers de nouveaux civils à fuir ses frappes indiscriminées, en déblayant la voie aux escadrons de la mort d’un régime qui donnait, ces derniers mois, des signes d’essoufflement, en ruinant, enfin, les derniers espoirs que l’on pouvait nourrir quant à la création, au sud de la Jordanie et au nord de la Turquie, de sanctuaires ou de zones tampons dignes de ce nom, Poutine aggrave encore la crise et jette sur les routes de l’Europe les derniers opposants qui, jusqu’ici, avaient tenu bon : et je dis bien « les routes de l’Europe » ; car la Russie, n’étant ni l’Allemagne ni la France, prendra bien soin, en même temps qu’elle les terrorisera, de leur fermer ses propres frontières.

5. Une information, donnée par les médias russes mais curieusement peu reprise en Occident : en même temps qu’il positionnait ses avions, ses hélicoptères de combat et ses forces spéciales, Poutine ancrait le croiseur lance-missiles Moskva, avec ses dizaines de missiles antiaériens, dans le port de Lattaquié. L’État islamique se serait-il doté, à notre insu, d’une flotte aérienne qu’il faudrait mettre hors d’état de nuire ? Évidemment non ! De là à conclure que le Kremlin envisagerait de tenir pour cible légitime tout avion appelé à survoler un territoire qu’il considère désormais comme le sien, il n’y a qu’un pas. Et ces avions ne pouvant, par définition, que battre pavillon des États-Unis, du Royaume-Uni, de la France, de la Turquie ou de tout autre État membre de la coalition, on voit sans mal le genre d’escalade où ce raisonnement pourrait entraîner le monde.

Nous n’en sommes heureusement pas là.

Mais qu’on ne vienne pas nous présenter comme un renforcement de la coalition anti-Daech une opération qui ne vise, à ce jour, qu’à donner à la Russie la maîtrise du ciel syrien et à y assurer, au sol, ses intérêts de puissance.

M. Poutine n’est pas seulement un pompier pyromane, c’est un impérialiste à l’ancienne.

Comme en Ukraine dont ce déploiement de force syrien a aussi pour but de faire oublier le dépeçage, comme avec les pays Baltes, la Pologne, la Finlande ou, désormais, la Turquie dont ses Mig ne cessent de tester les frontières aériennes en même temps que la solidité du lien avec l’Otan, il est engagé dans une stratégie d’agression soft dont l’affaiblissement de l’Europe est, je le dis depuis des mois, la visée principale.

Puissent les Européens s’en soucier avant qu’il soit trop tard.

Puisse-t-on, en France par exemple, ne pas céder au chant des sirènes d’un apaisement qui, du Front national à l’extrême gauche en passant par un nombre grandissant de républicains des deux bords, est en train de devenir le signe de ralliement de ce parti aux frontières invisibles mais, finalement, assez cohérentes qu’il faut se décider à nommer le parti Poutine.


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