C’est la rentrée où il va falloir que la gauche choisisse entre sa ligne réformiste et libérale ou sa tentation altermondialiste.

C’est la rentrée où il faudra clairement dire que jouer avec l’extrême gauche n’est pas moins grave pour la démocratie que ne l’était, sous Mitterrand, le fait de jouer avec l’extrême droite.

C’est la rentrée où les nationalistes corses – autres adeptes de la volonté de pureté, autres partisans de la politique du pire – vont devoir enfin décider s’ils réclament des Canadair ou s’ils mettent le feu au maquis et aux esprits.

Sera-ce la rentrée de Laurent Fabius (qui sut, sur la question, par exemple, de Cuba, trouver, au printemps dernier, les mots de la refondation) ou celle de François Hollande (par qui, quels que soient ses mérites, la gauche n’est pas près de renouer avec la culture, les réflexes de gouvernement) ?

C’est la rentrée où l’on saura si Canal + existe toujours ou non.

C’est une rentrée où les Goncourt, au lieu, comme cela se murmure, de céder à la pseudo-audace qui ferait sacrer Milan Kundera, s’honoreraient en couronnant un nouveau nouveau roman – un écrivain jeune, traitant subjectivement de la réalité du monde du XXIe siècle et attendant de la fiction, comme le recommandait, d’ailleurs, Kundera lui-même il y a quinze ans, qu’elle soit aussi moyen de connaissance.

C’est une rentrée où l’on a vu, à huit jours d’intervalle, sortir le livre de Frédéric Beigbeder et la transcription des derniers mots, au téléphone, des occupants du World Trade Center – c’est une rentrée où l’on n’échappera pas, autrement dit, à l’éternelle question de savoir si c’est l’art qui s’inspire du réel ou le réel qui, au contraire, imite l’art.

C’est la rentrée où un vrai intellectuel, Régis Debray (j’ai beau être en désaccord avec lui, Debray est, à l’évidence, un intellectuel de grand talent), signe un livre avec un nigaud (Jean Bricmont, l’homme de Sokal et Bricmont, les duettistes qui, voilà dix ou vingt ans, instruisirent un procès en « intellectualisme » qui visait à peu près tout ce que la seconde moitié du XXe siècle, en France, avait produit de philosophie).

C’est une rentrée Gauguin – c’est le moment où les gens qui, comme moi, n’ont pas une passion pour Gauguin vont pouvoir au moins vérifier s’il est à la hauteur du personnage de Vargas Llosa.

C’est la rentrée où l’on comprend, grâce au livre d’un académicien, que c’est, tout compte fait, Chateaubriand qui, plus que Barrès, plus que Zola, plus que Gide, Drieu la Rochelle ou Malraux, a posé les termes de l’équation qui règle les relations, en France, de l’écrivain et de la politique : l’écrivain, politique manqué ; le sentiment, chez les politiques, d’un destin littéraire avorté ; entre les deux, une gémellité sourde, nostalgique, douloureuse, inavouée.

C’est une rentrée où une jeune femme, du fond des jungles colombiennes, nous donne une admirable leçon de courage et de dignité : reste à percer le mystère de ce message qu’elle nous adresse, n’en doutons pas, avec l’assentiment de ses geôliers et où elle en appelle, étrangement, à une opération militaire contre ces derniers.

C’est la rentrée la plus triste, la plus désespérante qu’aient vécue, depuis longtemps, les Israéliens et les amis d’Israël : il faudra lire, dans cette perspective, et nonobstant les désaccords qui, sur d’autres points, ont pu et pourront nous opposer, le livre que Finkielkraut, me dit-on, consacre aux nouvelles formes de l’antisémitisme en France et dans le monde.

C’est une rentrée marquée au sceau, en Angleterre, d’un formidable gâchis politique : parti pour être un nouveau Churchill, Blair n’est plus qu’une sorte de « Bliar », de « menteur » conspué par sa presse et son opinion.

C’est la rentrée des classes, donc des profs et de leur ministre : à quoi joue le Premier ministre avec son ministre de l’Éducation ? croit-il qu’il pourra, longtemps encore, le maintenir dans cette position d’illégitimité, d’inconfort – Ferry en Tex Avery continuant de pédaler lors même qu’on lui a, sous les pieds, retiré le sol où il se tenait ?

C’est la rentrée où, avec un peu de chance, les Californiens s’apercevront que la politique n’est pas du cinéma.

C’est une rentrée où, j’en fais le pari, un écrivain s’emparera de ce terrible et troublant fait divers que fut la mort de Marie Trintignant : Vilnius, par exemple… raconter, véritablement, Vilnius… rappeler que Vilnius fut l’un des très hauts lieux, en Europe, de la science, de l’érudition rabbiniques… s’aviser de cette ironie du sort qui fait que c’est là, donc, à Vilnius, que croupit un artiste dont on se rappelle les choix politiques et que l’on a entendu, à Damas, à Beyrouth, ou dans son soutien sans nuances aux dérapages de José Bové à Ramallah, tenir sur le « sionisme » des propos pour le moins surprenants…

La France entière, au printemps dernier, défilait pour ses retraites. La même France, un mois plus tard, laissait mourir ses vieux. Est-ce la rentrée où l’on s’apercevra que la retraite est, au fond, une histoire de jeunistes attardés ?


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