Traité simplifié. Mais traité quand même. Et le moteur européen qui, du coup, se remet en marche. Ce résultat c’est à Nicolas Sarkozy que, pour une large part, nous le devons. « Nous » – c’est-à-dire tous les Européens qu’avait catastrophés le non français au référendum de 2005. Reste, cela dit, un climat. Reste cette impression de scepticisme et de désenchantement qui tranche si bizarrement avec l’euphorie des temps où l’on disait « construction européenne » pour désigner, mieux que l’espérance, l’horizon de nos générations. Peut-être n’y a-t-il pas d’horizon, après tout. Jamais. Et encore moins, comme on disait encore, d’horizon « indépassable ». Peut-être la vraie erreur fut-elle de penser, oui, que l’Europe était dans le sens de l’Histoire, inscrite dans la logique profonde de l’époque, nécessaire, inévitable : une Europe qui se faisait toute seule, dans notre dos ou notre sommeil, vieille taupe des âges nouveaux, pas besoin de la peine des hommes, encore moins de leur énergie, il suffit de laisser faire, peut-être de pousser un peu, l’Europe se construira de toute façon – l’Europe « fara da se » comme l’Italie selon Cavour, car l’Europe c’est la Providence. Dernière illusion du progressisme ? Ultime piété d’une politique qui ne se résout pas à se laïciser tout à fait ?

Sur le Darfour, je suis plus réservé. Non que je méconnaisse la belle énergie qu’il a fallu, là aussi, pour réunir si vite, à Paris, les principaux acteurs, Chine comprise, susceptibles de peser sur le dénouement de la tragédie. Mais j’espère juste que l’on est bien conscient des enjeux. Et de l’urgence. Et de la formidable inertie, en particulier, d’un régime – celui de Khartoum – qui, sans menace économique et financière crédible, ne bougera que pour la forme. Je lis, ici et là, que « les belligérants » n’ont pas été conviés, ou l’ont été mais ont décliné. Mais c’est le mot même de « belligérants » qui, déjà, pose un problème ! Car pour belligérer, il faut être deux. Il faut – cf. Clausewitz – un minimum de symétrie entre deux armées adverses opposant leurs buts de guerre. Au Darfour, il y a une armée qui massacre ses civils. Et il y a, en face, des civils qu’essaient de protéger, plus ou moins, une guérilla vaillante mais exsangue. Bernard Kouchner sait cela aussi bien que moi. Ma question est simplement : en aura-t-il convaincu ses partenaires ? aura-t-il trouvé, face à son homologue chinois, les mots, les arguments, qui portent ? et, surtout, surtout, pense-t-il toujours que le meilleur, peut-être le seul, de ces arguments est la menace de boycott de ces fameux jeux Olympiques auxquels Pékin tient plus que tout ?

Navrant de voir qu’il aura fallu attendre le coup de force du Hamas et le début de guerre civile interpalestinienne pour que l’on se décide, enfin, à soutenir le président Mahmoud Abbas… Car ce fut, au fond, la seule erreur d’Ariel Sharon quand il se retira de Gaza. Le geste était fort. Inopiné. C’était, dans le mouchoir de poche de cet autre champ de bataille que sont Israël et la Palestine, l’un de ces vrais gestes politiques qui honorent un homme d’État et font bouger les lignes autour de lui. C’était « Sharon Archav » qui, en d’autres termes, l’emportait sur le chef de guerre et renforçait comme jamais « Shalom Archav », le parti de la paix en Israël. Sauf que, ce territoire, il aurait fallu le rendre à Abbas. Il aurait fallu faire de ce retrait une victoire conjointe de Abbas et de l’administration israélienne. Il aurait fallu, comme nous le disions, avec David Grossman, lors d’une conversation, il y a tout juste un an, dont la substance fut publiée par Le Monde, en faire, sur le moment même, un élément du renforcement des Palestiniens modérés dans le bras de fer déjà engagé avec les Iranosaures suicidaires et fascisants du Hamas. Il semble qu’on le comprenne enfin. J’espère juste qu’il n’est pas trop tard. Je crois, je veux croire, qu’il n’est jamais trop tard pour prendre le chemin de la raison et de la paix.

Jean-Marie Colombani quitte, aujourd’hui, Le Monde. C’est le jeu, dira-t-on. Soit. Mais on n’empêchera pas l’observateur de trouver qu’il y a parfois des jeux bizarres (recueillir la majorité des suffrages exprimés et être réputé « mis en minorité ») et, peut-être, dangereux (au moment où un autre quotidien, économique celui-là, tremble pour son indépendance, était-il prudent de mettre à l’écart l’un de nos rares grands journalistes à être aussi un chef d’entreprise et à avoir fait de l’indépendance du groupe qu’il avait su bâtir autour de son journal, une obligation quasi sacrée ?). Les amis du Monde – ceux pour qui la lecture quotidienne de leur journal est, comme eût dit Hegel, et pour rester dans le registre religieux, une sorte de « prière vespérale » – souhaiteront bonne chance à la nouvelle équipe. Les amis de Colombani – depuis treize ans et, d’une certaine façon, bien davantage c’étaient les mêmes… – se consoleront en retrouvant, dans le recueil de ses éditoriaux (Au fil du Monde, Plon), le parfum de ses années-Monde. Entre autres, le célèbre « Nous sommes tous américains », écrit le soir du 11 septembre, et qui sonne, aujourd’hui encore, comme un beau défi à ceux qui ne veulent rien entendre à la logique du terrorisme, de l’islamisme, du nihilisme, contemporains.


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