Ayaan Hirsi Ali est cette jeune femme, ex-députée néerlandaise, d’origine somalienne, qui a été condamnée à mort, il y a un peu plus de trois ans, par des groupes islamistes d’Amsterdam.

C’est cette femme admirable qui, depuis le jour de novembre 2004 où l’on retrouva, plantée dans la poitrine sans vie du réalisateur Theo Van Gogh, une lettre la désignant comme la prochaine cible des tueurs, vit comme a longtemps vécu Salman Rushdie : traquée, pourchassée, empêchée de dormir tous les soirs au même endroit, jamais en repos.

Et cela pourquoi ?

Et ce calvaire, cette vie en sursis, pour quelle faute ? Parce qu’elle a, quand elle était députée, fait voter une loi contre l’excision des petites filles.

Parce qu’elle s’est battue contre cette tentation communautariste qui est, pour elle comme pour bien d’autres, l’une des menaces les plus insidieuses qui pèsent sur les démocraties.

Parce qu’elle a dit haut et fort, sans s’embarrasser des précautions qu’impose la « culture de l’excuse », son refus de cette nouvelle version du fascisme que l’on appelle l’islamisme radical.

Et parce qu’elle a tenu, sur l’islam lui-même ou, plus exactement, sur l’« islam actuel » et sa compatibilité ou non avec les « présupposés de l’État de droit », des propos qui auraient pu susciter la polémique, le débat, la critique, mais que les fanatiques ont entendus comme un blasphème doublé – crime suprême ! – d’une invitation à l’apostasie…

Ayaan Hirsi Ali n’a rien fait d’autre, en réalité, qu’inviter à la libre réflexion sur les relations entre les religions et l’État.

Elle a plaidé, dans chaque cas, pour ces principes de laïcité – elle dit laïcité « à la française » – qui lui semblent être l’un des acquis non négociables des combats démocratiques.

Elle s’est contentée de rappeler le droit inaliénable – inscrit dans la Charte des droits fondamentaux – qu’est, pour tout citoyen d’Europe, le droit à l’incroyance.

Sauf que la chose, en Islam, continue, hélas, de faire problème.

Sauf qu’en Islam, je le répète, elle est encore assimilée, parfois, au plus impardonnable des forfaits.

Et sauf que toute une partie de l’opinion occidentale en général et néerlandaise en particulier a réagi à cette affaire de la plus étrange des façons.

Ce furent des déclarations embarrassées insinuant qu’entre la « provocatrice » et son éventuel assassin « offensé » dans son identité ce serait blanc bonnet et bonnet blanc.

Ce furent ses voisins d’immeuble la faisant expulser de son logement ; ses collègues, au Parlement, la poussant à la démission ; l’administration néerlandaise tentant de mettre en cause la régularité des procédures ayant abouti, en 1997, à sa naturalisation.

Et c’est, aujourd’hui, alors que, lasse de ces tracasseries et humiliations, soucieuse aussi de brouiller les pistes et de compliquer la tâche des tueurs, elle essaie de bouger, de voyager et d’aller faire, en Europe, aux États-Unis, ailleurs, son travail d’intellectuelle plaidant la cause des femmes en Islam, c’est aujourd’hui, donc, la même administration qui fait savoir que, à la différence de Scotland Yard mettant son point d’honneur à protéger Rushdie où qu’il se trouvât, sa police à elle cessera d’assurer sa sécurité dès lors qu’elle sortira du pays.

Ayaan Hirsi Ali sera ce dimanche à Paris, à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, à l’invitation de publications et associations (Charlie Hebdo, Libération, ProChoix, La Règle du jeu, SOS Racisme) que n’ont jamais intimidées ni les provocations des islamistes ni les mises en garde des munichois.

Elle se verra, dans les jours suivants, remettre par Julia Kristeva et par moi-même deux prix couronnant l’esprit de son combat et de sa résistance à toutes les oppressions (le premier en hommage à Simone de Beauvoir ; le second à l’initiative d’un jury de journalistes issus des plus grands médias français).

Trois jours plus tard, le 14 février, elle sera à Bruxelles, à l’initiative de députés européens rêvant de rassembler une majorité de leurs collègues autour d’une résolution qui fait de ce symbole vivant de l’Europe une citoyenne européenne par excellence, protégée comme telle par les institutions européennes (et tant pis si cela oblige à inventer pour elle, ainsi que pour toutes celles et tous ceux qui se trouvent et se trouveront dans la même situation qu’elle, un statut ad hoc !).

La France, qui assurera bientôt la présidence de l’Union, a un rôle décisif à jouer dans cette partie.

Nicolas Sarkozy qui déclara, pendant sa campagne, que « chaque fois qu’une femme est martyrisée dans le monde la France doit se porter à ses côtés », ne peut pas ne pas se sentir interpellé par le cas de cette héroïne du combat pour les droits de l’homme et des Lumières.

Ayaan a été reçue, lors d’un précédent passage à Paris, par la garde des Sceaux, Rachida Dati. Je sais qu’elle rencontrera, cette fois-ci, Rama Yade et Fadela Amara. Puisse le président de la République entendre la voix de ses ministres, recevoir à son tour cette grande dame martyrisée et user de son autorité pour que lui soit pleinement reconnu, comme à tous les citoyens d’Europe, son imprescriptible droit à aller, venir et s’exprimer en sécurité.


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