Si ce nom ne vous dit rien, c’est le moment ou jamais de vous en soucier.

Car c’est l’homme qui, depuis quelques jours, talonne Hillary Clinton dans les sondages pour l’investiture du Parti démocrate.

Et ce sera peut-être donc, s’il finit par l’emporter et s’il bat, ensuite, le candidat républicain, le premier président black de l’histoire des États-Unis.

Black, d’ailleurs, n’est pas le mot.

Car père noir et mère blanche, native de Kansas City. Et, quant au père noir, cette particularité qui, aux États-Unis, change tout : être né en Afrique, au Kenya très précisément, et n’être donc pas le descendant d’un esclave affranchi de l’Alabama ou du Tennessee, porteur de toute la souffrance, la mémoire, parfois le ressentiment, des Noirs américains traditionnels.

Un double métissage, autrement dit.

Un métissage au carré, et comme multiplié.

Un désaveu vivant, si l’on préfère, de toutes les identités – y compris, et c’est le plus nouveau, cette identité afro-américaine, sudiste, qui fonctionne comme une prison pour tant de Noirs américains.

Son adversaire, dans les élections sénatoriales de l’Illinois, ne venait-il pas, au moment où nous nous sommes connus, il y a trois ans, de lui reprocher de n’être « pas assez noir » ?

Qui est ce « nègre blanc », feignaient de s’étonner ses rivaux, ce soir-là, en marge de la convention démocrate qui était en train de désigner John Kerry et où il prit la parole, pour la première fois, sur une grande scène fédérale – qui est ce demi-nègre, qui n’est même pas l’arrière-arrière-petit-fils d’un esclave de La Nouvelle-Orléans ?

Son aisance, pourtant, cette nuit-là.

Son air d’incroyable liberté, sa gouaille.

Son allure de mauvais garçon passé par Harvard et capable d’en remontrer, en matière de finances ou de droit public, à n’importe quel Gore, Kerry ou Kennedy.

Son éloquence, aussi.

Ce texte qui, comme tous les textes dits dans toutes les conventions, avait été calibré à l’intonation près, mais dont il donnait le sentiment, lui, parfait débutant, d’improviser le moindre soupir.

La salle a vibré, pour ce nouveau venu, comme pour aucun autre hiérarque du parti.

Elle a senti, dès qu’il a surgi, que quelque chose de complètement inattendu, et de neuf, était en train de se produire.

Et le premier à s’en aviser fut d’ailleurs, comme il se doit, celui dont la nouvelle star ravissait soudain le rôle : le révérend Al Sharpton ; l’éternel candidat black à toutes les investitures ; le provocateur patenté ; le professionnel, en principe, de toutes les insolences ; l’auteur aussi, par parenthèse, du seul discours hors normes de toute la convention ; le seul à avoir osé quitter les rails des speech writers du parti pour hurler, poing levé, que les sans-logis de Louisiane et de Virginie attendaient toujours les 40 acres promis, il y a un siècle et demi, aux esclaves libérés par la guerre de Sécession ; sauf que, là, rien ne va plus ; ses colères tombent à plat ; ses anathèmes sonnent faux ; car Obama est arrivé ; et c’est comme si la grâce avait quitté, du coup, le vieux comédien désavoué.

Barack Obama…

Barack Obama…

Je me suis juré, à cet instant, de bien me souvenir de ce nom.

Je me suis promis – et j’ai consigné cette promesse dans un chapitre d’American Vertigo – de ne jamais oublier cette image de lui, quand, à 23 heures précises, il a bondi sur la scène de son pas légèrement dansant, s’est projeté sous les sunlights et a offert à l’assistance médusée son étrange visage de Brown American, jumeau imaginaire du bâtard de Thomas Jefferson.

Et je me suis promis, le lendemain, quand je l’ai revu dans la salle de restaurant d’hôtel où il m’avait fixé rendez-vous, de ne jamais oublier non plus ses propos à la fois sages et rebelles, étrangement consensuels et qui, bizarrement, rendaient un son neuf – je me suis promis de garder en mémoire cet air de Clinton noir, entonnant le credo américain, se réclamant des pères fondateurs et de leur exceptionnalisme, mais avec juste ce qu’il fallait d’écart, et peut-être d’ironie, pour ne ressembler, tout à coup, à personne.

Je me souviens de Barack Obama.

Je revois ses gestes de voyou magnifique mâtiné de King of America.

Je repense à sa façon de dire, sur un ton de confidence, que Barack, en swahili, voulait dire, en réalité, « béni ».

Le premier Noir à avoir compris qu’il ne fallait plus jouer sur la culpabilité mais sur la séduction ?

Le premier à avoir décidé d’être, au lieu du reproche de l’Amérique, sa promesse, sa nouvelle chance ?

Le passage du Black en guerre au Black qui rassure et rassemble – et la fin, par conséquent, de toutes les religions identitaires ?

Peut-être, oui, qui sait ? le vainqueur annoncé de cette autre élection : l’américaine, l’année prochaine, celle qui désignera le président de la première puissance mondiale et décidera donc, pour partie, du destin de l’Afghanistan, de l’Irak ou des ambitions nucléaires iraniennes. Rien de moins.


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