On aimerait ne faire que pleurer les morts et aider les survivants.

Il faudrait ne penser qu’aux vies ensevelies, aux maisons détruites, aux douars d’Al-Haouz rendus inaccessibles par les éboulements et l’effondrement des routes.

Il faudrait prier ou, quand on ne prie pas, penser très fort à tel village, sur le chemin de Taroudant, que l’on connaît depuis toujours et dont on ignore, à l’heure qu’il est, s’il n’a pas été rayé de la carte.

Il faudrait prendre le temps de saluer la solidarité des Tangérois qui se sont rués, pour donner leur sang, vers les points de collecte improvisés ; des habitants de l’ancien Mellah de Marrakech qui ont tout perdu mais aident une vieille dame qui, dans le bruit des sirènes et des bulldozers mêlé au chant du muezzin, cherche son mari et crie son nom ; ou de ceux qui, dans les jardins de la ville où tout le monde se retrouve, la nuit, dans la crainte des répliques, réconfortent les plus démunis.

On devrait n’avoir à songer qu’aux portables qui répondent enfin, aux proches qu’il faut aider à se reloger, aux cagnottes qui permettent à chacun d’apporter son soutien concret à un peuple plus qu’ami.

Seulement voilà. Nous vivons un temps où il n’y a pas de tragédie qui ne s’accompagne de débats oiseux ou, simplement, inutiles. Et il faut, aussi, en passer par là.

Le bruit fait, par exemple, autour de la supposée « absence » du roi et, ensuite, de son « silence ».

Sur l’absence, je n’ai pas d’information particulière mais m’étonne qu’on y attache tant d’importance : un roi, même thaumaturge, a-t-il un pouvoir de divination permettant d’anticiper le choc, 26 kilomètres sous terre, de plaques tectoniques – et d’être là quand il se produit ?

Et, quant au second point, je trouve étrange que l’on découvre que le chef d’un État qui n’est, en effet, pas une république a une gouvernementalité singulière : avare de sa parole ; s’en tenant, à tort ou à raison, aux trois discours à la nation prononcés, chaque année, à l’occasion de la Fête du Trône, de l’ouverture de la première session législative de l’année et de la Marche verte ; et, soit par tempérament, soit en vertu de l’idée qu’il se fait de sa propre souveraineté, peu enclin, pour le reste, aux conférences de presse et interviews télévisées.

Il faut attendre le bilan, bien sûr.

Mais je trouve qu’en réunissant, à Rabat, quelques heures après le séisme, un conseil de défense, en décrétant la mobilisation des forces armées et des autorités locales, en ordonnant personnellement et, semble-t-il, dans le détail, les distributions d’eau, l’acheminement des kits alimentaires de survie et l’hébergement des sans-abri, Mohammed VI a agi avec la célérité qui convenait.

Peut-on en dire autant, pour s’en tenir aux événements comparables des vingt dernières années, des autorités indonésiennes (tremblement de terre de 2004), pakistanaises (2005), chinoises (2008) ou turques (cette année) ?

Le débat, ensuite, sur le prétendu « refus » de la main tendue par les pays alliés.

Je ne sais, ici encore, que ce qu’en dit la presse.

Mais je connais les situations d’urgence humanitaire. Et depuis la fondation, il y a quarante-cinq ans, d’Action contre la faim, j’ai été mêlé à suffisamment d’interventions de cette sorte pour savoir deux ou trois choses.

Que confondre urgence et précipitation peut être une erreur.

Qu’il y a des problèmes simples, tel l’engorgement des aéroports, auxquels les volontaires internationaux ne songent pas forcément et qui sont générateurs de pagaille.

Que, quand la zone est enclavée, difficile d’accès et que la catastrophe a fini de la couper du monde, l’éparpillement des initiatives et le défaut de coordination sont les ennemis de l’aide.

Bref, quiconque a l’expérience de ces situations sait qu’il arrive que la « pitié » soit « dangereuse » et qu’il n’est pas absurde de laisser aux sauveteurs de proximité, quand ils existent, les opérations d’extrême urgence ; de procéder, quand l’administration locale en est capable, à un inventaire des besoins, puis des offres qui leur correspondent ; et d’espérer que les bonnes volontés seront toujours là quand viendra le temps long de la reconstruction.

L’avenir, là aussi, tranchera. Mais il me semble que c’est ainsi que raisonne, aujourd’hui, le Maroc. Et c’est lui faire un mauvais procès que de l’imaginer tirant parti de la circonstance pour ourdir on ne sait quels règlements de comptes diplomatiques.

Et puis il y a la petite musique que l’on commence d’entendre sur le sens qu’il conviendrait de donner au cataclysme.

Le temps n’est pas, là non plus, à la polémique.

Mais l’on rappellera à ceux qui seraient tentés de voir dans ce soulèvement de la terre un message, un avertissement ou une punition que nous ne sommes plus au temps du désastre de Lisbonne (qui, par parenthèse, fut aussi un désastre marocain ravageant Asilah, Larache, Salé, Fès ou Meknès…).

Voltaire a tout dit, alors, sur cet autre piège conspirationniste.

Les calamités n’ont pas de sens.

Aucune providence, divine ou profane, ne s’exprime à travers elles.

Et c’est se condamner à ne rien faire du tout que d’oublier la loi : pour le pire et le meilleur, avec nos forces humaines et, parfois, trop humaines, nous sommes seuls face au Mal.


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