Les Kurdes irakiens ont donc tenu un référendum digne, exemplaire et conforme à toutes les règles requises par un scrutin démocratique.

Ils se sont bien gardés de proclamer, dans la foulée, l’indépendance à laquelle ils ont droit et qui leur a été promise, depuis un siècle, par des traités.

Et le président Barzani, à qui le monde doit d’avoir, deux ans durant avec ses peshmergas, fait rempart à Daech et de nous avoir ainsi protégés contre le déferlement de la barbarie, n’a cessé de dire, avant et après le scrutin, que cette indépendance ne pouvait intervenir, dans son esprit, qu’au terme d’une négociation patiente, soutenue, éventuellement longue, avec le pouvoir de Bagdad.

N’empêche.

Toutes les dictatures de la région se sont, comme un seul homme, immédiatement déchaînées contre lui et contre son peuple.

Et ce fut, à la minute même où furent proclamés les résultats du vote, la course à qui ferait le plus pour aboyer, asphyxier, étouffer, bloquer, soumettre à embargo, emprisonner un petit peuple dont le seul crime aura été d’exprimer son double désir d’être libre et de voir fleurir, dans cette région du monde, un îlot de démocratie et de paix.

Ici, c’est l’Irak prétendument fédéral qui n’a, ces dernières années, respecté aucune de ses obligations constitutionnelles et qui a le front de reprocher à ce référendum d’être anticonstitutionnel.

Là, c’est la Turquie dont on sait avec quel souci du droit elle traite ses intellectuels, ses journalistes, ses avocats, ses supposés opposants, ses défenseurs des droits de l’homme – et qui feint de s’offusquer du crime de lèse-légalité dont se serait rendue coupable Erbil en affirmant une volonté d’émancipation pourtant bien modérée.

Là encore, c’est l’Iran qui oublie, pour un instant, la querelle sunnites-chiites tant lui semble soudain urgent le besoin de nouer avec les nouveaux Ottomans une sainte alliance permettant d’en finir, une bonne fois, avec l’irrédentisme obstiné de cet autre peuple à la nuque raide.

Et l’on n’évoquera que pour mémoire la contribution à la curée du quatrième larron : ce régime syrien, massacreur de son peuple et diviseur de sa propre nation, qui appelle, lui aussi, à l’unité de la nation irakienne et s’écrie, à l’unisson, que ce référendum kurde est « inacceptable » !

Jadis, dans une autre partie du monde, on appela « bande des quatre » une camarilla de dirigeants qui estimaient que la révolution chinoise n’avait pas encore dévoré assez de ses enfants et que le mouvement devait se poursuivre.

Eh bien, voici une nouvelle bande des quatre composée de MM. Abadi, Erdogan, El-Assad et Khamenei qui, chacun dans son style, brandissent ou, hélas, mettent déjà en œuvre la menace, qui d’un blocus aérien, qui d’un blocus terrestre, qui d’une coupure des robinets pétroliers, qui d’une intervention militaire – à quand les rivières de sang ?

Et le plus navrant est qu’arrive alors le moment où les Kurdes qui en ont, certes, vu d’autres mais qui sentent bien que, cette fois-ci, c’est une menace existentielle qui se profile, appellent le monde à leur secours ; or le monde, démocraties en tête, ne trouve rien à répondre, détourne pudiquement les yeux et prend, de fait, le parti des dictateurs : nous n’avions que les peshmergas à la bouche tant que nous avions besoin d’eux pour, encore une fois, faire la guerre à l’État islamique – maintenant que l’épisode irakien de cette guerre est en passe d’être gagné, on les jette après usage…

Le président français a certes évoqué, à Paris, lors de la visite du Premier ministre irakien, les droits du peuple kurde. Et il a fermement rappelé que ce peuple était, de longue date, un peuple ami de la France – sous-entendant qu’il serait inacceptable, pour lui, pour nous, que lui soit porté atteinte.

Mais ce n’est pas assez.

Car chacun sent bien que, sans une mise en garde solennelle à l’intention de la bande des quatre, sans le rappel clair qu’il n’y a, en la circonstance, qu’une escalade et qu’elle est de leur fait, sans la réaffirmation, en un mot, des grands principes qui fondent le droit international et la morale universelle, le pire peut arriver.

Et la France, par ailleurs, pourra difficilement mener seule ce combat pour l’honneur, la dignité et l’intérêt bien compris des démocraties qui auraient grand besoin, dans cette région, d’un allié de la trempe des Kurdes.

Alors, est-ce Munich qui recommence ?

L’acquiescement à la loi du plus fort et des maîtres chanteurs ?

Une colossale erreur d’appréciation de l’Occident et, en particulier, des États-Unis ne comprenant visiblement pas qu’il y a quelque chose de suicidaire dans cette façon de rejeter l’allié loyal et vaillant pour endosser le point de vue de ses adversaires ?

Ou le peuple kurde qui a, entre autres torts, de n’être pas arabe, d’être laïque, de croire en la démocratie pluraliste, de reconnaître des droits égaux aux femmes et d’avoir, de tout temps (jusques et y compris, très récemment, dans les combats menés pour la libération de la plaine de Ninive) protégé, délivré et accueilli les minorités serait-il, lui aussi, un peuple en trop sur la terre ?

Une seule solution : hausser le ton ; rappeler calmement mais fermement qu’il y a quelque chose d’absurde à voir des régimes autoritaires se permettre de donner des leçons de constitutionnalité à un peuple hier encore sous leur botte ; et obtenir des autorités irakiennes qu’elles répondent, sans conditions ni délai, à la main tendue des Kurdes et à leur offre de dialogue.


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