BERNARD-HENRI LÉVY : Donc, vous connaissez l’idée. C’est, en gros, de parcourir l’Amérique à la façon de Tocqueville et dans ses pas. J’ai rencontré, pour cela, toutes sortes de gens. Des gens ordinaires et des gens célèbres. Le président Bush, le sénateur Kerry, des politiciens, des juges, des acteurs de cinéma, des Américains moyens, beaucoup d’Américains moyens. Mais depuis le début, voyez-vous, depuis le tout début, j’avais un désir qui était de vous rencontrer.

NORMAN MAILER : Vous me mettez dans une situation difficile. Parce que, dès que vous devenez l’objet d’un tel désir, vous devez quelque chose, vous devez des richesses spirituelles, à celui qui vous a mis dans cette situation.

BHL : Mais non, vous n’y êtes pour rien. Pour rien. C’est juste moi qui, lorsque j’ai écrit mon livre sur Daniel Pearl et donc sur son exécuteur, le Britannique d’origine pakistanaise Omar Sheikh, ai choisi pour modèle votre enquête sur Oswald, le meurtrier de Kennedy. Votre façon de mêler fiction et réalité… Le croisement du roman et des rapports de la CIA… De même, d’ailleurs, que votre Chant du bourreau, cet autre livre qui m’a inspiré… Dès le début, pour cette raison et d’autres, j’ai essayé d’entrer en contact avec vous…

NM : Je sais. Mais il faut que vous sachiez que je dis « non » aux interviews, à tous les interviews, depuis longtemps. Car je travaille, en ce moment, à ce qui risque d’être mon dernier roman. Un projet ambitieux. Un roman, pour moi, très important. Quand on vieillit, de nombreux éléments de votre personnalité changent. Vos centres d’intérêt se modifient. Ce qui vous importait vous devient égal. Et, là où vous étiez négligent, ou désinvolte, vous vous montrez soudain très attentif. Donc, plus d’interviews. Quand je donne une interview, le temps prend une importance terrible, je perds une demi-journée. Ou une journée. Je me demande : combien de jours me reste-t-il ? cent ? mille ? cinq mille ? A mon âge, on n’en sait rien et, par conséquent, je dis non aux interviews. Mais votrE persistance et votre réputation, au mieux excellente, au pire très intéressante, ont fait que j’ai, finalement, dû accepter.

BHL : Merci. Car pour moi, je vous le répète, il était inconcevable de terminer ce livre sans vous avoir vu.

NM : Des gens très bien ont plaidé en votre faveur. Attendez que je me rappelle… Ah ! c’est ça le problème, quand on vieillit. On n’a presque plus de mémoire. Enfin, plus de mémoire du court terme. Vous devenez comme un psychopathe. Vous vivez dans un présent colossal. Vous êtes très réel pour vous. Tout le monde est aussi réel que vous l’êtes vous-même. Mais voilà… Demain… Vous reverrez, demain la fille que vous avez vue hier… « Comment allez-vous, Rosy ? », lui direz-vous – et voilà, c’est une erreur, ce n’est pas Rosy qu’elle s’appelle… C’est terrible de ne même plus se souvenir du nom des jolies filles. C’est incroyable, et terrible.

BHL : Et, en même temps, vous semblez en excellente forme.

NM : Oui, ça va. Mais j’ai 81 ans. Et c’est un âge bizarre. Vous ne savez pas si vous allez vivre un ou quinze ans.

BHL : Vous comptez les jours, dites-vous ?

NM : Non. Pas vraiment. Mais je ne veux pas gâcher mes journées. Et c’est pour ça que je refuse les interviews. Sinon, ça devient une manière d’exister. En Amérique, on devient des joueurs sur un échiquier. Comme si les journaux ne pouvaient pas vivre sans les cinquante, cent, cinq cents personnes qu’ils connaissent bien, qui leur sont familières et qui sont des joueurs sur leur échiquier. J’ai été une de ces marionnettes pendant de longues années. Votre nom même, dans ces cas-là, devient une marionnette. Il inspire certaines réponses. Il fait que l’on attend de vous que vous réagissiez de telle façon ou de telle autre. Quand vous vieillissez, les marionnettes de votre génération meurent. Et celles qui ne meurent pas, celles qui restent, sont assiégées pour de nouvelles interviews. Voilà pourquoi mon assistante est devenue une experte du refus.

BHL : Je m’en suis rendu compte. Elle est très efficace.

NM : Oui, cela m’aide énormément.

BHL : Mais est-ce que, parfois, rester seul, ici, à Cape Cod, ne devient pas très ennuyeux ?

NM : Seul ? Non. Jamais. Ce n’est jamais ennuyeux d’être seul. Et puis je ne suis pas seul : ma femme est là…

BHL : Rencontrer d’autres gens, des gens de l’extérieur, cela ne vous manque pas ?

NM : C’est trop tard. Quand on a écrit toute sa vie, certains thèmes prennent de l’importance, ce sont ceux qui ont survécu et rencontrer des gens nouveaux présente, par rapport à ces thèmes, peu d’intérêt. C’est cela. Les thèmes demeurent. Et aussi la famille. J’ai neuf enfants. Tous très différents. J’ai été marié six fois. Et un des avantages de cet état de fait, qui pose aussi beaucoup de problèmes, c’est que les enfants sont très différents et s’intéressent les uns aux autres. C’est une famille très vivante, donc. Très diverse, très vivante et qui suffit à occuper une bonne partie de mon temps libre.

BHL : De quoi parlera votre prochain roman ?

NM : Je n’aime pas trop parler du sujet de mon prochain roman. Si je commence, ça risque de durer une heure. Nous savons tous cela, n’est-ce pas ? C’est tellement plus facile de parler d’un roman plutôt que de l’écrire ! Cela fait maintenant des années, en réalité, que je ne parle plus de mon travail en cours. J’essaye de garder le secret. Je vous confierai simplement… C’est difficile à expliquer… Très difficile… Je vous confierai simplement que le principe de départ est assez osé, et que c’est peut-être même le roman le plus osé que j’aie jamais tenté d’écrire. En dire plus serait contre-productif.

BHL : C’est une vraie fiction ?

NM : Non.

BHL : Et pourquoi dites-vous que c’est le dernier ? Vous n’en savez rien.

NM : Parce que c’est le dernier. Si je vis encore pendant vingt ans et que je continue à pouvoir écrire, eh bien il fera trois mille pages. Si je vis moins longtemps, il sera plus court. Mais ce sera le même roman. C’est un roman sans fin, je ne sais pas comment il finira – et c’est pour ça que je dis que c’est le dernier.

BHL : Vous comptez rester attelé à ce roman jusqu’à la fin de vos jours – c’est bien cela que vous êtes en train de me dire ?

NM : Oui, oui, je crois. Et, en même temps, je n’en sais rien. A chaque fois que je tente d’expliquer mon travail en cours, il s’avère que mes explications sont fausses. Je ne fais jamais ce que j’annonce. Il est parfaitement possible, autrement dit, que… Par exemple, il y a environ trois ans, j’allais écrire la suite de Harlot’s Ghost. J’allais me lancer dans le deuxième volume. Et comme je crois aux muses, comme je crois que, quand on écrit un livre qui vous tient à cœur, on a une muse, je choisis donc, pour ce livre, Carl Jung – je choisis de penser que mon personnage, Howard, sera fasciné par Carl Jung et que c’est là ce qui expliquera une bonne partie de son comportement. C’est la promesse d’un roman très excitant. J’ai passé beaucoup de temps à le préparer et je m’apprête donc à me lancer. J’ai ma muse et je m’apprête à l’épouser. Et voilà que, le jour du mariage, une autre muse arrive, je laisse alors tomber ce roman pour un autre et je sais, à cet instant, que jamais je n’y reviendrai.

BHL : Comment quitte-t-on une muse pour une autre ?

NM : Toutes les deux m’obsèdent pendant longtemps. Et voici que l’une d’elles se développe de façon sous-cutanée, prend corps au fond de mes pensées et, le moment venu, je la choisis sans regrets.

BHL : Le nouveau roman se développe donc en secret. Il ne tombe pas du ciel, il se développe en secret…

NM : Nous sommes d’accord. Il y a une chose que j’ai apprise, vous savez. Une toute petite chose. J’ai beaucoup lu, dernièrement, sur l’inconscient. J’ai écrit un livre que je vais vous donner, qui s’appelle The Spook Arts et où je parle beaucoup de l’inconscient. Et mon sentiment c’est que nous ne sommes pas propriétaires de notre inconscient. C’est comme si le conscient était le maître et l’inconscient l’esclave grec, le confident. Je n’ai pas trop d’affection pour l’esclave. Mais enfin… C’est l’inconscient qui prépare le matériau. Et c’est lui qui, de ce point de vue, devient le maître de son maître. Je ne donnerais, à tout prendre, qu’un seul conseil à de jeunes écrivains cherchant les règles de l’écriture : allez vous coucher et remettez-vous au travail, sans faute, le lendemain matin ; sans faute, oui ; car c’est l’inconscient qui prépare le matériau et, si vous n’obéissez pas à l’injonction, si vous ne travaillez pas avec le matériau qu’il vous a donné, vous faites attendre vos troupes sous la pluie et tout est gâché. Dans ce sens-là, je suis d’accord avec vous. Pendant des mois et peut- être des années ce roman caché s’est élaboré en silence dans l’inconscient avant d’oser émerger. Car l’inconscient est méfiant, vous savez. Il se protège. Il a été trop souvent maltraité, donc il se protège. Trop souvent nous avons méprisé ses richesses que nous avons dispersées aux quatre vents, alors il est sur ses gardes, il se défend – c’est comme si le conscient et l’inconscient jouaient à cache- cache.

BHL : D’accord. Mais pourquoi Jung ?

NM : Parce que j’ai toujours trouvé Freud insatisfaisant. Je vais prendre une comparaison qui, sur un plan intellectuel, va vous sembler un peu sommaire mais tant pis. Freud est un grand plombier. Il sait toujours d’où viennent les bruits et les fuites dans la tuyauterie mentale. Et si le système de quelqu’un ne fonctionne pas, il a un bon diagnostic, et de bons outils, pour le réparer sans tarder. Mais il n’a pas la profondeur de Jung. Il n’a pas, il n’a jamais eu, l’intelligence théorique de Jung. Ce commentaire fabuleux, par exemple, selon lequel – je paraphrase – personne n’est jamais guéri de sa névrose avant d’avoir élaboré sa propre conception de Dieu : ça m’a fait un choc, d’entendre ça ; j’ai toujours pensé que quelqu’un d’intelligent c’est quelqu’un qui travaille à élaborer sa propre conception de Dieu ; oui, les idées toutes faites sur Dieu ne fonctionnant pas, le type intelligent doit partir de ce qui a été accompli pour aller plus haut, plus loin et fournir sa propre conception ; eh bien lire l’équivalent de cette idée chez Jung, quel choc !

BHL : Mais il y a d’autres différences entre Jung et Freud ! A commencer par la question, non de Dieu, mais’de l’inconscient justement. Freud pense, en gros, que l’inconscient est individuel, que chaque homme possède son propre inconscient et que c’est même l’une des choses qui contribuent à ce bien si précieux qu’est sa singularité. Jung croit l’inverse. Il croit à l’inconscient collectif.

NM : Vous avez raison. Mais jusqu’à un certain point seulement. Certains éléments sont universels. Et ils sont, pour moi, aussi importants que l’inconscient individuel. Je répugne à penser, voyez-vous, que nous sommes totalement individualisés, conçus séparément et parfaitement isolés dans notre coquille, sous notre surface, à l’intérieur de notre corps. J’aime me dire au contraire qu’il y a des éléments que nous partageons et que ce qui nous rassemble est, philosophiquement, aussi important que ce qui nous sépare. Pour le conscient, bien sûr, nous sommes tous des individus séparés. Mais, pour l’inconscient, nous sommes connectés. C’est pour ce genre d’idées que je suis devenu un adepte de Jung. Il est difficile à lire. Il est ennuyeux. Mais c’est pour ce genre d’idées qu’il mérite d’être étudié. C’est pour ce genre d’idées, à cause d’elles, que j’ai lu tout ce qu’il a écrit et que je le rejoins sur certaines notions fondamentales. Je souscris davantage à sa vision de l’inconscient qu’à celle de Freud.

BHL : De votre part, j’aurais plutôt cru le contraire. La conception freudienne de l’inconscient est plus proche de l’individualisme, donc du libéralisme et de la démocratie. Je crois vraiment que l’idée de Freud selon laquelle chaque individu possède un inconscient propre est plus proche des idées démocratiques et libérales. Alors que Jung, avec son idée d’un inconscient matriciel, nourricier, océanique, peut mener à des choses terribles, vous le savez fort bien.

NM : Tout est réversible. Je pourrais me faire l’avocat du diable et vous prouver par a plus b que, sur bien des points, c’est Freud qui est formel, rigoureux, inflexible et, donc, pas si démocratique que cela. Et je pourrais vous démontrer à l’inverse, tout en reconnaissant les éléments dangereux contenus dans Jung, que ce que la démocratie comporte de liberté, de libération, d’ouverture, de progrès, se rattache plus facilement à lui, Jung, qu’à Freud. Mais non. Pour moi c’est une discussion vaine parce qu’elle est trop ouverte, et je ne veux pas m’y aventurer. D’autant que, vous vous en doutez, j’ai davantage lu Freud que Jung au cours des années. Surtout quand j’étais plus jeune ! Comme la plupart des jeunes écrivains de ma génération, j’étais fasciné par Freud. C’est Freud qui dominait nos existences. Freud, encore, qui nous inspirait. Comment osions-nous être écrivains ? A quoi cela servait-il d’être un romancier ? Réponse chez Freud. Il en savait plus, Freud, sur la nature humaine que nous tous. Donc nous avons dû nous confronter à Freud et c’était particulièrement déplaisant. Nous devions le respecter pour nous avoir libérés et c’était très intéressant.

BHL : Pourquoi « déplaisant » ? Freud a amené votre génération et la mienne à se défaire d’un certain nombre de conceptions naïves de la subjectivité et de la vie. Il nous a fait gagner un temps fou !

NM : Dans l’histoire des idées, on ne pourra jamais se débarrasser de Freud. Mais il était limité. Il nous a aidés jusqu’à un certain point mais, après, il y avait un mur. On ne pouvait pas le dépasser, ce mur, sur le plan de la pensée. Et la plupart des freudiens s’y sont retrouvés enfermés, comme penseurs. J’ai une fille qui est freudienne. C’est ma fille aînée. Elle est freudienne. Psychanalyste. Et secrétaire d’une société psychanalytique. Elle est charmante.

BHL : Lacanienne ?

NM : Non, non. J’ignorais que Lacan était freudien.

BHL : Oui, bien sûr. C’est même lui qui, dans les années 60, en France, a lancé le slogan du « retour à Freud ». C’est le continuateur de Freud. A la fois son exégète et celui qui poursuit l’aventure.

NM : J’en ai entendu parler mais je le confonds avec l’homme, en France, qui voulait que les femmes accouchent avec des lumières tamisées… L’apôtre, vous savez, de l’accouchement naturel… Je ne me rappelle pas son nom, je croyais que c’était Lacan…

BHL : Non. Je ne vois pas bien le rapport avec Lacan.

NM : Plus tard. Je retrouverai son nom plus tard. J’appellerai ma fille et elle nous le donnera. J’ai lu ça, dans le temps. Tout ce dont je me souviens c’est qu’il pensait qu’accoucher dans les hôpitaux avec des lumières aveuglantes était très pénible et troublait le psychisme des femmes. Il préférait des méthodes plus douces.

BHL : Vous lisez toujours beaucoup ?

NM : Autant que mes yeux me le permettent. Mais pas autant qu’autrefois. Voilà une dizaine d’années que je souffre de fatigue visuelle et, aussi, de maux de tête. Alors, je fais attention. Je préserve mes yeux pour l’essentiel, c’est-à-dire pour l’écriture.

BHL : Soit. Mais il faut lire pour écrire, non ? Ou bien, est-ce que vous vivez sur vos réserves, en tant qu’écrivain, pour vos romans ?

NM : Non, je lis tout le temps. Des textes en rapport avec ce que je suis en train d’écrire, avec mes romans. Mais je ne peux plus me permettre de perdre mon temps sur certains livres. Car, maintenant, je paye un prix pour les lire. C’est comme si je prenais une partie de ma substance et que je la posais sur la table pour lire un livre. C’est pour ça que je fais beaucoup plus attention. Vous commencez à lire un livre, c’est assez bon, amusant, intéressant, mais vous savez que ça ne va pas changer votre vie, alors vous arrêtez. Vous vous concentrez sur les livres qui comptent.

BHL : Autrement dit, vous ne lisez plus guère les autres romanciers ?

NM : Pas souvent, non. Car j’ajoute une autre raison encore. S’ils sont bons c’est trop stimulant. Et s’ils sont mauvais je perds réellement mon temps.

BHL : Et les journaux ? Vous lisez les journaux ?

NM : Ça, oui. Tout le temps.

BHL : Ça vous plaît encore ? Ça vous nourrit ? Vous en avez besoin ?

NM : Au cours des quatre années qui viennent de s’écouler et, plus encore, les trois dernières, avec Bush et l’Irak, j’ai beaucoup lu les journaux. Peut-être trop. Alors que ce n’était pas dans mes habitudes, maintenant je lis le Times en me levant.

BHL : J’aurais pensé l’inverse. Que vous avez toute votre vie, comme Gore Vidal, un papivore acharné. Vous pensez, cela dit, que Bush sera aussi nuisible que ce qu’imaginaient les démocrates avant les élections ? Ou bien va-t-on s’apercevoir qu’il n’est pas si monstrueux qu’on le pensait ?

NM : Je ne suis pas sûr qu’il le sache lui-même… C’est un phénomène, Bush, vous savez. Sur le plan intellectuel il est l’équivalent de Mister Magoo. Vous connaissez Mister Magoo ? Mister Magoo est complètement bigleux. Et Bush, comme lui, avance à l’aveuglette. Il prend des décisions à l’aveugle, mais qui vont avoir des conséquences épouvantables. Il traverse la rue et provoque des accidents de voiture. Etc etc.

BHL : Il a l’air d’être un personnage plutôt sympathique, votre Mister Magoo…

NM : Oui. Mais il n’y a pas que ça. Il y a aussi son côté « Dieu me parle ». Vous savez : ces gens qui pensent entendre la parole de Jésus tous les soirs… Pour moi, ce n’est pas Jésus qui leur parle mais le démon. J’ai toujours pensé cela, oui, que démon est le meilleur imitateur possible de Jésus. En sorte que, dans mes mauvais jours, je pense que Bush est une présence diabolique. C’est ça la question que je me pose en tant que romancier : est-ce qu’il est une présence diabolique ou un bouffon exceptionnel ? Ça n’empêche évidemment pas qu’il soit un type de bon niveau. Ni qu’il soit entouré d’hommes qui, comme Cheyney et Rove, sont loin d’être tous des idiots et sont même des génies à leur manière – des mauvais génies, mais des génies. C’est comme Nixon. C’était un génie. Il avait une personnalité détestable et, pourtant, il a gagné les élections présidentielles avec une majorité plus large que tous les candidats de notre histoire. Et vous savez pourquoi ? Parce qu’il était un génie, il n’y a pas d’autre réponse. Il comprenait la politique, il savait parler aux électeurs et les manipuler d’une façon inédite. Bush est l’illustration du même phénomène. Il a des méthodes qui sont incroyablement lisses, subtiles et les gens autour de lui, je pense plus particulièrement à Rove et Cheyney, sont des génies. Que vont-ils faire, maintenant, jusqu’à la fin de ce second mandat ? Ils sont dans le laboratoire de l’histoire. On va bien voir…

BHL : Je comprends. Je trouve absurde, moi aussi, cette façon qu’ont ses adversaires de sous-estimer Bush et de le traiter comme un crétin. Vous l’avez déjà rencontré ?

NM : Non. Mais j’ai rencontré sa mère. Vous avez rencontré sa mère ?

BHL : Non.

NM : Je vais vous raconter une histoire sur sa mère. Ça se passe en 1983. Je suis… Comment vous expliquer ça ? Ici, la réputation littéraire de quelqu’un est comme la Bourse. Parfois vos actions grimpent et parfois elles descendent. Cette année-là, mes actions sont à la hausse. J’assiste à un dîner, qui s’appelle le Literary Lions. C’est une manifestation très importante pour collecter des fonds pour la New York Public Library. Je suis donc magnifiquement placé, ce soir-là, entre Brooke Astor et Barbara Bush, qui est là en tant qu’épouse du vice- président George Bush. Tout cela se passe sous Reagan, et cette femme un peu lourde, mais nerveuse, s’assied et me dit avec cet accent exagérément « upper class » : « Oh monsieur Mailer, c’est un tel plaisir d’être assise à côté de vous… » Un accent vraiment snob ! Moi, je suis en grande forme. J’ai bu un ou deux verres. Je me suis un peu moqué d’elle et elle a répondu sur le même ton. On n’a pas arrêté, en fait, de se taquiner pendant tout le dîner. C’est un dîner agréable, franchement, en compagnie de deux dames sympathiques, Brooke Astor et elle. Et, vers la fin du repas, un photographe arrive et Barbara Bush reprend son accent snob pour me dire : « j’aimerais tellement que l’on nous prenne en photo. » Moi, je lui réponds : « cela m’étonnerait, j’ai dit des choses horribles sur votre mari. » Et elle me fixe droit dans les yeux, comme ça, il s’écoule environ vingt secondes et, toujours me fixant, elle dit : « On s’en fout ; on la prend cette photo ? » Depuis, je lui garde une certaine sympathie. Je crois que toutes sortes de pensées lui sont passées par la tête au cours de ces vingt secondes, c’était comme un bluff au poker.

BHL : Que voulait-elle dire ? Qu’elle s’en foutait, vraiment ?

NM : Elle avait plusieurs options. Se dire : ce type est un con, un sale insolent. Ou : qu’est-ce que vous attendez de moi ? que je vous dise « très bien, je refuse que l’on nous prenne en photo, vous, espèce de juif new-yorkais mal élevé » ? Ou alors : on va la faire, la photo, et on empêchera les journaux de l’imprimer. Ou bien : ils ne l’utiliseront pas, de toute façon, cette photo. Ou ce que vous voulez. Je crois qu’elle a envisagé trois, quatre, cinq options. Il n’y avait pas de réponse claire et, par fierté, elle a juste dit : « bon, alors, on la prend cette photo ? » Je lisais dans son regard que c’était une femme forte. Et donc on a pris la photo. Depuis lors, elle m’est assez sympathique. Et, lors d’un autre dîner pour la bibliothèque, on s’est à nouveau retrouvés placés côte à côte, et on s’est à nouveau très bien entendus. Elle n’est pas mal, je vous assure.

BHL : Évidemment, oui. Un instant de défi. De transgression délicieuse. La révolte de la potiche. Classique. Et son mari ? George Bush senior ?

NM : Lui, je ne l’ai jamais rencontré. Mais je ne pense pas qu’il soit, lui non plus, si mal que ça. D’accord ce n’était pas une lumière. Mais le fils est très en dessous. Je ne voudrais pas me livrer à une analyse trop facile mais vous avez quand même, là, le thème du fils plus faible que le père. Son histoire est encore à raconter. On ignore la vérité.

BHL : Facile ou pas, c’est là que les choses se jouent. Lui, le fils, je l’ai rencontré en revanche. Pour ce livre que je suis en train de finir et pour lequel nous nous voyons, je l’ai rencontré. Et on sent bien que c’est là, dans ce rapport à Bush le grand, que tout s’est joué – y compris dans la décision de « revenir » en Irak, de « finir » la guerre que le père avait laissée en plan. Pour le venger ou pour faire mieux ? Je ne sais pas. Qu’avez-vous fait aux dernières élections ? Vous avez soutenu Kerry ?

NM : Oui, il ne me plaisait pas trop mais je l’ai soutenu.

BHL : Vous l’avez appuyé publiquement ? Vous avez écrit un article, par exemple ?

NM : Oui, plus ou moins. C’est vrai que je ne me suis pas donné beaucoup de mal. Je me suis prononcé en sa faveur, mais en passant.

BHL : Vous avez une explication de son échec ?

NM : Je crois qu’il a perdu parce qu’il ne s’est pas battu contre la guerre en Irak. Il aurait peut-être perdu de toute façon et, s’il avait condamné la guerre en Irak, peut-être cela n’aurait-il rien changé. Mais…

BHL : Il aurait perdu avec les honneurs… Au lieu de quoi cette façon de faire le mariole avec ses « swift boat veterans » débarquant à Boston, au garde-à- vous, le jour de l’investiture…

NM : Oui, c’est cela. Or il a fait, comme vous le savez, l’exact contraire. En sorte que c’est un souvenir déplaisant de plus. Rien d’autre qu’un souvenir déplaisant de plus. Songez qu’il est allé jusqu’à déclarer que si c’était à refaire il le referait et voterait, sur cette question de l’entrée en guerre, de la même façon aujourd’hui qu’hier…

BHL : D’autant que l’opinion a l’air de bouger, sur la question…

NM : Oui. Mais cela ne veut rien dire. Tout le monde passe un temps fou à se demander, ces temps-ci, pourquoi Bush a été élu, pourquoi l’Amérique a voté pour lui. Et, maintenant qu’il est passé, tout le monde s’accorde à dire que « cette guerre est abominable », qu’il faut « en finir avec cette guerre ». Or ce n’était pas vraiment le cas avant les élections. Et cela parce qu’en Amérique, vous avez cette incroyable loyauté envers les soldats. Vous ne pouvez pas, sans risquer d’être tenu pour terriblement immoral, vous retourner contre vos troupes. Environ dix pour cent des votes venaient de gens qui n’avaient pas envie de voter Bush mais qui estimaient qu’ils ne pouvaient pas désavouer l’armée. Ils auraient juste considéré comme une trahison de voter pour Kerry. Maintenant qu’il a été reconduit, la situation et l’état du débat reviennent à la normale.

BHL : Pourquoi, ayant un jugement si dur sur l’homme, l’avoir quand même soutenu ? Par réflexe ? Par habitude ?

NM : On me pose souvent la question. On me demande : pourquoi, s’il ne valait pas mieux que Bush en ce qui concerne la guerre, lui avoir apporté votre caution. Et ma réponse, c’est en général : parce qu’il manie bien la langue ; cela ne nous aurait pas fait de mal d’avoir un président qui parle bien l’anglais ; pour moi c’est important ; oui, c’est important pour la démocratie que le président parle bien ; Churchill en est un merveilleux exemple ; et aussi Roosevelt ; si vous avez un président qui parle mal, le pays est tiré vers le bas.

BHL : Kennedy ?

NM : Kennedy parlait bien. Clinton ne parle pas trop mal, il a un phrasé un peu relâché mais ça passe. Mais Bush parle mal. Très mal.

BHL : Comment se fait-il que vous vous intéressiez encore à la politique ? Cela a l’air de continuer de vous passionner. Or, quand nous avons commencé cette conversation, vous m’avez dit « maintenant je suis un vieil homme… plus rien ne m’intéresse que le livre en cours… »

NM : C’est vrai. Mais la politique est l’une des dernières choses qui continuent de m’intéresser. En dehors de mon prochain roman, le seul sujet sur lequel je me sois exprimé (je lui ai consacré cinq ou six textes, essentiellement pour la New York Review of Books) c’est cette affaire de guerre en Irak. Le roman et la politique. La politique et le roman. Mettez-les dans l’ordre que vous voudrez. Ce sont les deux sujets qui me restent. Je ne m’intéresse plus, en revanche, ni au sport en général, ni à la boxe en particulier, ni aux autres romanciers…

BHL : Je reviens à Kerry. Ou plutôt, au-delà du cas Kerry, à l’état de la gauche américaine. J’ai été frappé, vraiment, par le vide de ses idées…

NM : C’est le moins que l’on puisse dire !

BHL : Ainsi que par la bizarre tendance qu’elle a à épouser les valeurs de l’adversaire. Prenez l’exemple de MoveOn. C’est ce qui se fait de mieux à gauche, non ? Eh bien j’ai été sidéré le jour où j’ai compris (en l’apprenant de la bouche même de ses fondateurs) que le vrai nom du mouvement était « Censor the President but move on to the real problems ». Alors, move on to the real problems, passons aux vrais problèmes sérieux, d’accord. Mais pourquoi « Censor the President » ? En quoi le Président aurait-il dû être « censuré » pour un écart qui, après tout, ne regardait que lui et l’intimité de sa vie privée ? Pour moi, c’est incroyable.

NM : Je ne peux pas vous aider là-dessus parce que, pour moi aussi, c’est incroyable. Enfin non, d’ailleurs, ce n’est pas incroyable. Cela me fiche en colère, dans une colère sans limites, mais je vois bien de quelle logique, hélas, ça procède. D’ailleurs, avez-vous remarqué une chose ? Les gens de gauche sont souvent des emmerdeurs. Si vous avez envie de passer du bon temps à une réception, eh bien vous vous amuserez davantage à une soirée républicaine qu’à une soirée démocrate. Les républicains sont très pieux, moralistes, ils se targuent de rectitude morale, etc… Mais bon. Soyons sérieux. Ils baisent comme des malades. Ils sont bien plus immoraux que les démocrates. Bref, ils font tout, absolument tout – sauf qu’ils le font en se cachant…

BHL : La gauche, donc, plus puritaine que la droite ?

NM : Disons la chose autrement. Les républicains sont des gens qui, bien souvent, comprennent le besoin d’une double vie. Ce sont même des types qui, individuellement, s’emploient à mener une vraie double vie. Sauf qu’ils le font en prenant leurs précautions. Ils sont souvent beaucoup plus tordus que les démocrates, si vous préférez. Ils font des trucs pas nets. Ils acceptent de l’argent auquel ils ne devraient pas toucher. Etc. Mais voilà. Ils sont habiles. Hypocrites. Ils prononcent de pieux discours et ne parlent jamais avec des mots, mais avec des expressions toutes faites, genre « Our-good-loyal-noble-honest-patriotic- soldiers » en un seul mot – ce qui ne les empêche pas de chercher du regard, dans la pièce, la fille avec laquelle ils pourraient bien finir la soirée.

BHL : Chose que ne font pas les démocrates ?

NM : Si. Sans doute. Mais les républicains ont un avantage décisif. Ils disposent de ce thème formidable qu’est le thème du « born again ». Vous savez : les fidèles qui ont rencontré Jésus. Ils peuvent, ceux-là, avoir commis tous les péchés. Il suffit qu’ils entrent dans une nouvelle vie où ils n’en commettront plus et la faute sera effacée. Il y a là une comédie, typiquement républicaine, qui aurait inspiré Molière mais qui dit bien ce rapport tordu, et malin, au puritanisme. Il vous faudrait remonter trois ou quatre siècles en arrière dans l’histoire de France pour trouver l’équivalent. Peut-être les mousquetaires d’Alexandre Dumas : d’un côté vertueux et, de l’autre, non pas exactement immoraux, mais parfaitement incontrôlables. Pour un républicain américain, en tout cas, la cause est entendue : il peut faire toutes les cochonneries possibles et imaginables – il sait qu’il a, avec cette affaire de « born again », une session de rattrapage…

BHL : Restons un peu, si vous le voulez bien, sur cette question du puritanisme américain. Pour vous, quelle en est la source ?

NM : C’est une bonne question. Car c’est vrai que ce n’est pas évident de savoir pourquoi, ici, en Amérique, aussi tardivement dans l’histoire du monde, dans un pays aussi avancé, il y a autant de puritanisme… Je pense, au fond de moi, que cela a à voir avec le fait que nous n’avons pas de racines. La première fois que je suis allé en France, juste après la guerre, nous vivions dans un appartement et nous avons sympathisé avec notre vieille concierge. Elle parlait du prêtre de son village natal. Et elle disait : « C’est un charmant garçon ». Cette femme française était croyante. Catholique. Elle voulait mourir dans la religion etc. Or elle trouvait naturel que le curé du village soit un « charmant garçon ». Eh bien vous voyez, nous n’avons pas cette sophistication. Nous avons une église catholique qui est très moralisante, très guindée et avec qui nous avons des rapports ultra guindés. Si bien que cette simple formulation « C’est un charmant garçon » est quelque chose qui n’est pas pensable en Amérique. Et ce n’est pas pensable parce qu’on n’a pas cette familiarité délicieuse, évidente, que vous avez, vous, Français, avec ces gens qui, même prêtres, partagent les mêmes racines que vous.

BHL : Je ne comprends pas ce que vous dites quand vous dites que vous manquez de sophistication.

NM : Notre pays est tellement ouvert, il offre, parfois, si peu de plaisir pour les yeux, il se déploie sur de si longues distances avec un si grand vide qui est aussi, forcément, un vide dans la vie américaine, il y a un tel ennui qui suinte de la vie américaine et il y a, enfin, un manque si criant de spécificités et d’intensités culturelles, il y a (au contraire de l’Europe où chaque mètre carré a une histoire) un tel défaut de mémoire, nous sommes, en d’autres termes encore, si neufs et si modernes, que notre pays manque, en effet, totalement de sophistication. Nous sommes de la mauvaise herbe. Les gens qui, jadis, arrivaient ici quittaient un pays qui ne les aimait pas, qui les avait rejetés ou dont ils s’étaient arrachés, et ils étaient donc comme des mauvaises herbes. Mais alors, une fois transplantés, ils en rajoutent tellement dans la raideur ! dans l’esprit de sérieux ! Le Français ou l’Anglais moyen, et même l’Allemand moyen, et bien sûr l’Italien moyen, prend un certain plaisir dans les ironies, les corruptions, les idioties de son gouvernement, de ses administrations. Il s’amuse de la dégénérescence constante, et presque normale, naturelle, de ses idéaux. Il considère comme allant de soi que toute noble entreprise, toute institution, soit nécessairement empêtrée dans la corruption et les scandales. Tout cela fait presque partie des plaisirs de la vie. Ici, non. Nous n’avons pas du tout ça. Nous ne parvenons pas à dire « il faut laisser les gens vivre leur vie, il faut laisser la vie se déployer comme se déploie la vie ». Et ça peut mener ce pays au désastre.

BHL : Au moment du Watergate, par exemple ? Que pensiez-vous au moment du Watergate ? Quand Nixon a été pris la main dans le sac, pensiez-vous que la corruption est inhérente à la politique ? Ou que Nixon devait être condamné et fichu dehors ?

NM : Nous étions tous, alors, tellement contre Nixon ! Nous étions contents de ce qui lui arrivait ! Nous aimions le Watergate ! Mais nous avons surtout montré, à ce moment-là, notre côté malsain, notre esprit vengeur, notre ressentiment. Et nous étions de fieffés imbéciles, voilà la vérité. Car, après le Watergate, nous sommes entrés dans l’âge du politiquement correct. Oui, l’ironie c’est que le Watergate a fait, somme toute, plus de mal au parti démocrate qu’au parti républicain. Et le parti démocrate est, du coup, devenu très « politically correct ». Au point que, maintenant, dans le parti démocrate, tous ceux qui ont des idées n’osent plus ou osent à peine s’exprimer.

BHL : Quel type de parole la correction politique empêche-t-elle de proférer ? Qu’aimeriez-vous entendre, qui est interdit par la correction politique ?

NM : Des choses évidentes. Nous parlons des 2 000 soldats morts en Irak. Mais combien d’Irakiens sont morts ? Certains étaient des ennemis, soit ; mais combien, parmi eux, étaient des spectateurs innocents ? Leurs vies sont-elles moins importantes que les nôtres ? La vie d’un Américain vaut-elle deux fois, trois fois, dix fois celle d’un Irakien ? C’est odieux. Mais mon sentiment c’est que la moralité dans ce pays va à vau-l’eau. De plus en plus de puritanisme et de moins en moins de moralité – c’est logique.

BHL : Qu’entendez-vous par « moralité » ?

NM : Je vous donne un exemple. Un des énormes problèmes de la société si on envisage l’avenir, c’est la notion de sécurité. Et c’est un problème qui, vous le savez, a été rendu plus aigu encore depuis le 11 Septembre. Or regardez comment se conduisent, dans les aéroports et ailleurs, les types qui sont responsables de la sécurité. Regardez les délais, retards, barrières, obstacles, qu’ils créent. Cela crève les yeux, primo, qu’ils se fichent complètement de la sécurité réelle des gens réels. Et secundo qu’ils se fichent, encore plus, des conséquences entraînées par leur excès de zèle – tout ce qu’ils pensent c’est : « je ne veux pas que ça se passe pendant mon tour de garde ; si je suis confronté à un désastre et que j’en suis tenu responsable, je suis fichu. »

BHL : Soit. Mais tant mieux si cela réduit le nombre des attentats, non ?

NM : Prenons un autre exemple. Celui des ceintures de sécurité dans les voitures. Mon sentiment, moi, c’est que si je suis victime d’un grave accident, la ceinture n’y changera pas grand-chose. Mais, que je le veuille ou non, je suis obligé, absolument obligé, d’avoir un air bag. Et ce que je sais c’est aussi que, si je suis obligé de mettre cette ceinture de sécurité, ma vie privée, mon corps, seront violés, un tout petit peu d’accord, mais c’est quand même un viol et cela me gêne chaque fois que je monte dans une voiture, cela me met de mauvaise humeur, cela me perturbe. Bref, je devrais avoir le droit de ne pas mettre ma ceinture de sécurité. Vous me direz : « oui ; mais vos enfants ? il faut prendre soin de vos enfants etc. » Ouais… Mettons… Ce que je veux dire c’est que céder un peu de liberté pour acquérir davantage de sécurité va poser des problèmes de plus en plus importants dans les âges où nous entrons.

BHL : Et la peine de mort ? La correction politique pèse-t-elle sur la façon, disons timide, avec laquelle la gauche traite de cette question de la peine de mort ?

NM : Retournons à ce que sont vraiment les êtres humains. Nous sommes beaucoup plus laids, sales, rancuniers, cruels, cupides, stupides, que nous ne le prétendons. La société ne peut pas fonctionner si elle ne reconnaît pas d’abord cela – si elle ne s’accorde pas, si vous préférez, sur cette part de la laideur dans la nature humaine. Alors, d’accord, la peine de mort représente, d’un point de vue social, un des aspects les plus déplaisants de la société. D’accord, 99 pour 100 des exécutions ne devraient pas avoir lieu du tout. Mais enfin… Occasionnellement, il arrive qu’une personne commette un crime tellement abominable qu’il est dangereux qu’elle ne soit pas exécutée. C’est mon point de vue. J’ai essayé d’écrire sur ce sujet, il y a longtemps de cela. Et j’ai découvert, en fait, que cela n’intéressait personne…

BHL : Vous ne pensez pas qu’il y a là, dans quelque peine capitale que ce soit, un côté « vengeance de la société », ou droit « de vie ou de mort » sur mon semblable, qui est toujours intolérable ?

NM : Attendez ! J’ai découvert une autre chose très intéressante pendant que j’écrivais The Executioner’s Song. C’est à quel point les juges et les jurés souffrent quand ils condamnent à mort. Ils en font des cauchemars. Ils en deviennent insomniaques. J’ai réalisé pour la première fois à quel point il est difficile, pour des gens, de décréter que quelqu’un d’autre doit mourir. Je m’imaginais qu’ils se disaient : « c’est formidable, on va pendre ces salopards ». Mais, au contraire, ils souffrent. Dans ce sens, la peine de mort n’est pas gratuite pour les gens qui prononcent le verdict. C’est le second paradoxe de la peine de mort. Le premier tenant au fait que la perspective de passer toute sa vie en prison est une horreur et fait que beaucoup sont comme Gary Gilmore qui a dit : « je n’ai pas envie de passer ma vie en prison c’est pire que d’être exécuté. » Bon. Tout cela étant dit, j’insiste sur ce point : la peine de mort devrait être réservée aux pires crimes, particulièrement hideux. Elle ne devrait pas concerner, jamais, les crimes ordinaires.

BHL : J’ai visité une prison, la prison d’Angola, en Louisiane, près de La Nouvelle-Orléans, où la plupart des prisonniers sont condamnés à perpétuité et où, vu que la loi en vigueur dans cet Etat proscrit le principe même de la libération conditionnelle pour bonne conduite, on peut considérer que les gens qui entrent là y sont pour le restant de leurs jours et n’en sortiront que dans un cercueil. Ils disent, comme Gilmore, que c’est la pire des punitions possibles.

NM : Je le pense aussi.

BHL : Mais moi je n’en suis pas convaincu.

NM : Ce qui me tourmente c’est : qu’est-ce qu’on peut faire pour les pires des détenus, si on considère que la prison n’est pas seulement une punition mais un moyen de permettre aux criminels de devenir meilleurs en détention ? Et il m’est venu une idée particulièrement incongrue, qu’aucune nation ne devrait jamais appliquer mais que je vous livre quand même. J’ai songé à une prison où on accorderait une chance de s’échapper à tous ceux qui sont dans le couloir de la mort. On construirait un mur très haut, pratiquement impossible à franchir et toute personne qui le franchirait recouvrerait la liberté. Le mur est tellement difficile à escalader que les prisonniers passent des années à essayer de trouver un moyen de le franchir et ceux qui seraient parvenus à franchir l’obstacle auraient, je vous le répète, gagné la liberté. Ce serait un genre de pardon socialement acceptable. Ce serait comme si les criminels s’étaient transcendés. Ils ne seraient plus, tout à coup, juste ces types qui ont commis des crimes abominables. Et l’idée même de trouver une solution pour réussir à sauver leur misérable personne pourrie, leur donnerait une fonction, offrirait un but à leur vie – c’est déjà ça, vous ne croyez pas ?

BHL : Je ne sais pas… Qu’est-ce qui fait que, selon vous, la société ne pourra jamais organiser un tel dispositif ?

NM : C’est qu’une fois le type dehors, son exploit lui monterait à la tête et il pourrait réunir un gang et se lancer dans une série de meurtres qui signerait la fin du mur.

BHL : Je crois que les prisons américaines posent un autre problème encore. Elles ont, traditionnellement, deux buts. Un, punir. Deux, réhabiliter. Sauf que, en Amérique, elles en ont un troisième : non seulement punir et réhabiliter mais exclure, mettre les gens de l’autre côté d’une barrière, enfermer dans une sorte de cercle sacré.

NM : Oui, nous appelons cela « warehousing ». On enferme tous les méchants dans un entrepôt et on jette la clé. Les lois sur la drogue en sont un parfait exemple. Si vous êtes pris avec une certaine quantité de haschich, on peut vous jeter en prison pour dix, vingt, trente ans. Tout dépend de la quantité. Ce sont des lois très cruelles. On a, comme ça, des gamins qui sont emprisonnés pour le restant de leurs jours.

BHL : Est-ce que c’est une conception démocratique de la prison ?

NM : Non. Mais la démocratie aujourd’hui… Tout le monde en a une conception partielle ! La démocratie est un concept noble puisqu’elle assume qu’il y a davantage de gens bons que de gens mauvais sur cette terre et que, donc, si on accorde la liberté de choix aux gens, les bonnes choses l’emporteront sur les mauvaises. Après tout, avant l’avènement de la démocratie, on pensait le contraire. Seuls les sages et les puissants pouvaient juger de la façon dont l’humanité devait vivre. La démocratie est un pari. On ne sait pas comment ça va tourner, mais on parie.

BHL : Êtes-vous devenu plus pessimiste en vieillissant ?

NM : Oui, absolument. Bien plus qu’auparavant. J’ai toujours été assez pessimiste. Cela fait cinquante ans que je m’inquiète d’un avènement du fascisme en Amérique. Mais jusqu’à présent j’ai eu tort et je suis, aujourd’hui, plus inquiet que jamais à ce sujet. Le fascisme, en d’autres termes, me semble menacer pour de bon et être plus proche qu’il ne l’a été dans les années 50 ou 60. Le fond du problème c’est que je ne pense pas que l’Amérique soit en mesure d’affronter les problèmes soulevés par la démocratie. Je ne parle pas pour les démocraties française, anglaise, allemande, italienne – elles représentent des univers différents. Mais, pour ce qui est de la démocratie américaine, il faut bien avouer qu’elle a développé de bien mauvaises tendances. Mon diagnostic à long terme n’est pas bon. Et bien sûr le terrorisme ne fait, et ne fera, qu’aggraver les choses.

BHL : D’un autre côté j’ai voyagé dans le sud des Etats-Unis, en Alabama, dans le Tennessee, l’Arkansas. J’avais l’image d’un pays raciste, intolérant, fanatique. J’avais en tête tous les fichus clichés sur le vieux Sud. Or j’ai eu l’impression, au contraire, d’un progrès colossal. J’ai eu le sentiment, si vous voulez, non pas que les gens ont complètement surmonté leur racisme, leur haine des Noirs, mais qu’ils se sont éduqués à ne plus les formuler – ce qui, franchement, n’est déjà pas si mal…

NM : C’est possible, oui.

BHL : Et la vieille culture raciste est acculée, de ce fait, à une position défensive. J’ai participé, par exemple, à une chasse à la caille. Les gens qui étaient là étaient clairement les héritiers de la vieille culture sudiste et raciste dominante dans les clichés. Sauf qu’ils n’osaient pas me le dire en face. Il y a vingt ans, ils auraient été fiers de leur fascisme. Là, soudain, ils en avaient honte.

NM : Je veux bien le croire. Ça, oui, je veux bien le croire. Ça veut dire, au moins, que ma génération ne s’est pas battue pour rien.

BHL : Oui. Mais, alors, ça change tout. Car prenez la dernière élection présidentielle. Il y a deux interprétations possibles, finalement, de ce qui s’est passé. Ou bien on pense qu’on assiste au déferlement d’une formidable vague conservatrice qui monte des profondeurs du Sud, arrive presque jusqu’aux côtes et représente la volonté obscure de ce pays. Ou bien on voit ça – et c’est plutôt mon cas – comme une réaction, presque un baroud d’honneur, en tout cas une crispation, face à un mouvement de démocratisation qui est la vraie tendance lourde de l’histoire américaine récente et dont ces gens savent qu’il est irréversible.

NM : La question reste ouverte. Ce pays va-t-il s’orienter un peu plus vers la gauche ou vers la droite ? Je ne sais pas quoi répondre à cette question. Il est encore trop tôt. Et trop de choses dépendent d’événements imprévisibles.

BHL : D’accord. Mais que répondez-vous à cette hypothèse d’un fondamentalisme, ou d’une lutte pour les valeurs morales, qui seraient la dernière convulsion de la bête blessée ?

NM : Voyez-vous, la raison pour laquelle je suis un pessimiste à long terme a à voir avec cette affaire de fondamentalisme. Car revenons à Jung. Tant que nous n’aurons pas affronté la notion de Dieu, tant que chacun d’entre nous n’aura pas, pour lui-même, élaboré une notion de Dieu ou de ce qu’il pourrait être, tant que nous croirons, si vous préférez, en un Dieu qui, à un moment donné, a demandé à un certain nombre de ses adeptes d’écrire un livre qui était Son livre et qui allait être désormais le même, inchangé, sans extrapolation d’aucune sorte, pour tous les hommes, vraiment tous (en sorte que, si on accepte de le suivre jusqu’à la fin de ses jours, on est tranquille, on n’a plus besoin de penser), tant qu’on se conduira ainsi, on n’aura pas de démocratie. Cette croyance dans le Livre, cette croyance que Dieu est entièrement bon et tout- puissant, est, pour moi, un anathème. Mais c’est, surtout, le principal obstacle à la démocratie. Je crois qu’il y a un Dieu. Je crois en ce Dieu. Mais c’est un Dieu existentiel. Un Dieu créateur. Et un créateur que je vois comme un artiste. Pas quelqu’un qui apporte la loi, mais un artiste. Et un artiste qui, comme tout artiste, quoique à un niveau beaucoup plus élevé, cherche, oui, cherche des réponses. Et nous qui sommes le projet de Dieu, nous qui sommes sa création, nous lui… apportons quelques-unes de ces réponses.

BHL : Comment cela ?

NM : De la même façon que les enfants donnent des réponses à leurs parents. Un bon père ou une bonne mère ne prétendent jamais qu’ils connaissent leurs enfants par cœur. Ils savent qu’ils apprennent de leurs enfants. Ils savent que leurs enfants vont les surprendre, confirmer leur intelligence ou la nier. Ils s’imaginaient, par exemple, que leur enfant allait évoluer de telle ou telle façon et il évolue différemment. Les « mauvais » parents dominent les enfants. Les « bons » parents se mettent aussi, parfois, à l’école et à l’écoute de leurs enfants. Tout cela pour dire que Dieu fait du mieux qu’Il ou Elle peut. Nous sommes ses jouets, ses instruments. Mais il n’a pas les réponses et nous non plus. Donc, nous cherchons. Voilà l’idée qui peut contrer le plus efficacement les dérives fondamentalistes…

BHL : A propos de fondamentalisme, j’ai été également frappé par le développement de ce courant « créationniste » qui a l’air de vouloir relever la tête avec sa théorie des deux théories. Il dit, en gros, ce courant : il y a la vérité darwinienne d’un côté et il y en a une autre, non moins vraie, non moins scientifique et ornée, non moins que l’autre, de beaux oripeaux scientifiques – en sorte que, disant cela, c’est comme si l’obscurantisme prenait l’habit de la science et des Lumières…

NM : Je comprends que cela vous trouble. Car les Européens sont suffisamment sophistiqués pour accepter la variété des religions comme allant de soi. Ici, c’est différent. La Bible est le Livre. Elle contient le Verbe. Et vous avez intérêt à y croire parce que, si tu n’y crois pas, fils, un jour tu t’en souviendras et du devras payer. Good Lord, Jésus veut te sauver… Il veut te protéger… Dieu est beaucoup plus intelligent, plus puissant, plus amical aussi, que les paroles de Jésus, ou celles de la Bible juive, ne le laissent supposer… Mais voilà, c’est ta faute, tu ne le laisses pas faire…

BHL : Votre position, vous, par rapport à ça ?

NM : J’ai tendance à voir l’évolution comme un énorme laboratoire où certaines choses ont bien tourné et d’autres mal – par exemple les dinosaures dont l’apparition sur la terre était peut-être une énorme erreur… Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que cette notion d’une évolution qui verrait le triomphe des plus forts est trop facile. Je vois davantage cela d’un point de vue artistique. Certaines œuvres sont meilleures que d’autres. Et certaines se sont éloignées de Dieu. Je ne suis pas certain, par exemple, que Dieu voulait que les mouches se multiplient pour infester les plages en été.

BHL : Vous venez d’évoquer la Bible juive. Pour vous, être juif, c’est quoi ?

NM : Ça représente beaucoup de choses. Mais, comme vous pouvez l’imaginer, je ne suis ni pratiquant ni religieux. Mon grand-père, comme le vôtre, était un rabbin.

BHL : C’est mon arrière-grand-père qui était rabbin…

NM : Bon. Lui, en tout cas, à ce que j’en sais, était un vrai rabbin. Tandis que le mien, du côté de ma mère, a étudié pour le devenir et puis, quand il est arrivé en Amérique, a dû travailler comme boucher. Mais il était très pieux, très croyant. Il lui arrivait de remplacer le rabbin officiel quand celui-ci était indisponible. Je l’ai à peine connu. Il est mort quand j’avais quatre ans et je l’ai donc à peine connu. Mais ma mère, à cause de lui sans doute, respectait les pratiques religieuses. Elle m’a fait aller à l’école hébraïque, ce qui m’était intolérable mais qui m’a, sans aucun doute, formé au-delà de l’imaginable. C’était un endroit très triste, très déplaisant, où nous étions très grossiers avec les enseignants. C’était un vrai chaos. Et je dois vous dire que tout cela m’a prodigieusement ennuyé.

BHL : Et ensuite ?

NM : Ensuite, parvenu à l’âge adulte, il me semble que je ne me suis plus tellement intéressé à tout cela. Sauf que, d’un autre côté, à cause d’Hitler, la pensée qu’être juif n’avait pas d’importance ne pouvait pas être la mienne. Je savais que j’étais juif. Et je savais ce que cela signifiait. Cela signifiait, en gros, que mon sang était différent du sang des autres. Que ça me plaise ou non, que ce soit vrai ou faux sur le plan scientifique, j’estimais que, sur le plan pratique, du sang juif coulait dans mes veines. Voilà. Être juif est un état d’esprit. Nous avons des qualités et des défauts qui, par bien des aspects, nous distinguent des autres. Non que ces profondes différences soient faciles à définir. Et on répugne d’ailleurs à le faire à cause de l’héritage d’Hitler et du fait qu’on ne peut plus parler de races. Mais enfin, je ne pourrais pas, en ce qui me concerne, vous dire que je ne me sens pas juif. Ce serait faux. Je suis juif, très juif, voilà le vrai. Même si, naturellement, cela ne signifie pas non plus que je sois un patriote juif.

BHL : Avez-vous des liens avec Israël ?

NM : Non, pas vraiment. Et je vais même vous avouer une chose. Je n’y suis jamais allé. Jamais. Et vous savez pourquoi ? Pour une très bonne raison. Je savais que, si je m’y rendais, cela bouleverserait ma vie. Or j’avais des livres en chantier. Aujourd’hui encore, je veux en avoir fini avec mon livre. Je sais lequel. Je sais exactement quel livre je veux écrire avant de mourir. J’ai peut-être tort mais c’est pour cette raison que je n’y suis pas allé. Je ne voulais pas qu’on m’embête en me disant : « il faut que vous écriviez quelque chose sur la question, comment pouvez-vous venir, ici, voir ce que nous traversons, sans témoigner » ? Pour moi, c’eût été comme une visite à ma famille que je n’aurais pas eu envie de faire. Cela étant dit, la situation en Israël m’inquiète beaucoup.

BHL : Pourquoi ?

NM : A cause, notamment, de la guerre en Irak. J’ai peur que les néocons aient déclenché une tempête de grêle sur les juifs. Car les Américains ne font pas mystère, n’est-ce pas, qu’ils participent à cette guerre à cause des néocons et les néocons, de leur côté, ne font pas mystère non plus que la cause d’Israël est une des raisons qui les a fait se lancer dans cette guerre. Si ça tourne très mal, qui blâmera-t-on ? A qui en fera-t-on porter la responsabilité ? Aux juifs en général et à Israël en particulier. Dans mon esprit, il n’y a jamais eu aucune raison d’aller en Irak. C’est un endroit horrible et les endroits horribles doivent élaborer leurs propres solutions. On ne peut pas injecter la démocratie dans un pays.

BHL : Même pour renverser un dictateur ?

NM : Saddam Hussein était un homme abominable. On ne peut, certes, pas le comparer à Hitler car il n’avait pas l’importance d’Hitler. Mais je veux bien admettre, personnellement, qu’il était aussi horrible qu’Hitler et peut-être même davantage. Mais bon. C’était aux Irakiens de trouver la solution. Il n’était pas une menace pour nous. Et tout ce que nous avons fait, là, c’est de créer des menaces nouvelles.

BHL : L’Amérique ne doit combattre que les menaces qui la visent directement ? Hitler n’était pas une menace pour l’Amérique, il était une menace pour l’Europe, et l’Amérique, pourtant, l’a combattu et a libéré la France.

NM : Il était une menace pour la civilisation. Hussein était un monstre mais il n’était pas une menace pour la civilisation. Il n’avait même pas une grande importance géopolitique. On s’en serait mieux tiré avec des musulmans divisés. Alors que, là, maintenant, nous les avons unis. Ce que je vous dis là est sujet à discussion, naturellement. Et je suis certain que vous ne pensez pas la même chose que moi sur ce sujet.

BHL : Non, ce n’est pas évident. J’étais contre, moi aussi, cette guerre en Irak. Même si ce n’était pas avec les mêmes arguments que vous.

NM : C’était une énorme erreur. Et une erreur qui est venue de l’ignorance et de l’arrogance. Pour une raison que j’ignore, l’arrogance et l’ignorance semblent être une voie royale pour le pouvoir en Amérique. Si vous avez d’autres qualités, si vous êtes beau, bien né, brillant, avec des gens détestables et puissants qui vous apportent leur soutien, alors il suffit d’y ajouter l’ignorance et l’arrogance – et vous serez élu.


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