Il vient de se produire, sur le théâtre d’ombres qu’est la scène politique iranienne, une série d’événements dont on n’a pas toujours pris la mesure.
Ce sont, rapportés par le Sunday Times, les propos d’Ali Khamenei, leader spirituel de la République islamique, considérant que les provocations répétées du président Ahmadinejad vont « à l’encontre de l’intérêt national iranien ».
C’est le même Khamenei qui, dans un éditorial publié dans La République islamique, recommande à son protégé – faut-il déjà dire son ancien protégé ? – de cesser de « défier les grandes puissances » et de se « concentrer » sur « les problèmes quotidiens du peuple iranien ».
C’est la perte d’influence, au sein de la toute-puissante Assemblée des experts, et au profit de l’ancien président Rafsandjani, de l’ayatollah le plus dur du régime, chef de la faction « mahdiste » et, à ce titre, mentor, gourou, ayatollah personnel d’Ahmadinejad : l’ayatollah Mesbah Yazdi.
Et ce sont enfin les déclarations d’Ali Akbar Velayati qui est considéré, lui, comme le porte-parole de Khamenei et qui, interrogé par Bernard Guetta pour le quotidien italien La Repubblica, insiste lourdement sur le fait qu’il n’a « pas pris part » à la pseudo « Conférence internationale » sur la Shoah et qu’il désavoue, quant à lui, les propos négationnistes du président.
Alors il faut être prudent, naturellement.
Il faut se souvenir que les régimes totalitaires ont toujours excellé à souffler le chaud et le froid ; à inventer des factions prétendument modérées chargées de prendre le relais des factions radicales déconsidérées ; il faut se souvenir que le mécanisme de production d’un bouc émissaire brusquement accablé de tous les crimes commis en commun et disculpant, de ce fait, le reste de la secte est un grand classique du genre ; et je me souviens, moi, de ces années sombres où, avec quelques autres, nous tenions que la levée de la fatwa condamnant à mort Salman Rushdie était, exactement comme aujourd’hui la renonciation au nucléaire militaire, un préalable absolu à toute discussion normale avec l’Iran – je me souviens, oui, de toutes les fausses joies, de toutes les fausses bonnes nouvelles, de tous les prétendus infléchissements de ligne dont se gargarisaient les soi-disant experts et qui n’avaient pour résultat concret que de resserrer, chaque jour un peu plus, l’étau autour de notre ami.
Mais enfin…
Il n’est pas déraisonnable non plus de penser que, comme dans l’affaire Rushdie justement, la fermeté, la menace de sanctions ainsi qu’une pression qui a eu, cette fois-ci, le mérite de s’afficher à la fois financière et militaire, commencent quand même à payer.
Il n’est ni déraisonnable ni absurde de se dire qu’on a affaire à un régime qui, contrairement à l’Irak de Saddam Hussein, n’est pas un régime autiste, enfermé dans son propre délire, sourd et aveugle à l’évolution d’un rapport de forces qui lui devient défavorable.
Et, surtout, surtout, on est en train de découvrir que n’avaient pas complètement tort ceux des stratèges européens et américains qui misaient sur les ressorts d’une population civile trop occidentalisée, trop moderne et trop avide, tout simplement, d’exister pour accepter le Viva la muerte qui est devenu, au fil des mois, dans le plus pur style totalitaire, le seul programme de son président.
Alors, totalitarisme pour totalitarisme, et puisque le régime iranien est, on ne le répétera jamais assez, l’héritier des totalitarismes du XXe siècle, poussons la comparaison jusqu’au bout.
Et si ce qui se trame à Téhéran, dans l’entourage immédiat d’Ahmadinejad, était un lointain équivalent du complot du 20 juillet 1944 contre Hitler ?
Et si ce qui se joue, au sein des diverses instances censées donner son cap au régime, était la possible apparition d’une sorte de Gorbatchev qui, de glasnost obligée en pérestroïka tactique, finirait par se prendre à son jeu et à donner une voix, ce faisant, à cette jeunesse qui, l’an dernier, manifestait à visage découvert, dans les rues puis dans les urnes, son opposition à l’islamofascisme ?
Et si Ahmadinejad, Yazdi, leur clique, se retrouvaient dans la position de cette fameuse « Bande des quatre » dont le règne coïncida avec les pires crimes de la révolution culturelle chinoise et dont la chute sonna, très logiquement, le glas de la tyrannie ?
Et si l’Amérique était mûre pour un remake, non de la guerre en Irak, mais de Nixon in China, ce bon opéra (de John Adams, Alice Goodman et Peter Sellars) inspiré d’un bon voyage (de Nixon et, juste avant, de Kissinger) chez l’Ennemi préalablement épuisé par des années de guerre froide à l’extérieur et de dissidence à l’intérieur ?
Il ne faut pas désarmer, naturellement.
Il faut, moins que jamais, baisser la garde.
Mais peut-être le moment est-il venu de réenvisager, aussi, l’autre voie : celle d’un dialogue qui, s’il est mené sans faiblesse et sur la base de ces nouveaux signaux que semble émettre Téhéran et dont on saura vite s’ils se confirment ou non, sera bel et bien, pour le coup, la continuation de la guerre par d’autres moyens.
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