Chaque écrivain doit trouver à quoi il sert. Certains sont faits pour s’enfermer dans une chambre de liège, d’autres pour fuir en Abyssinie. Hemingway l’avait annoncé : il y a des catégories en littérature, comme en boxe. Un écrivain, c’est quelqu’un qui passe sa vie à chercher pour quel combat il est fait. Et puis, un jour, il le trouve. Ainsi, Truman Capote, qui écrivait de petits romans sensibles sur son enfance, puis quelques nouvelles snob, un jour est tombé sur un fait divers qui l’a traumatisé. Il est parti enquêter dans le Kansas, et son reportage est devenu son chef-d’œuvre : In Cold Blood (1965).

De même, Bernard-Henri Lévy a cru longtemps qu’il était nouveau philosophe, ou cinéaste pompier, ou biographe sartrien. Il vient de trouver sa véritable vocation : reporter en enfer. Seul ce dandy bourgeois, avec ses réseaux, sa fortune, sa culture et son courage confinant à l’inconscience, pouvait se permettre de passer un an à tenter de comprendre le meurtre ignoble de Daniel Pearl, le journaliste du Wall Street Journal égorgé devant des Caméscope, à Karachi, en janvier 2002, sous les ordres d’un fils de famille londonien. Toute la vie de BHL était dirigée vers ce livre macabre et « jet-set » (Karachi-Londres-Sarajevo-Dubaï-Kandahar-Los Angeles) sur le « crime absolu ». Toute : sa formation normalienne, son goût du risque, sa fascination pour le Mal, son style échevelé, même son narcissisme malrucien et son aventure bosniaque.

Réal-littérature, snuff book ou nonfiction novel ?

Tout s’emboîte enfin dans ce « romanquête » au souffle démoniaque, cette littérature au subjectif présent (c’était sa méthode dans Le Lys et la Cendre en 1996), ce new journalism façon Tom Wolfe ou Norman Mailer. Il fallait épouser Dombasle et racheter le palais d’Alain Delon à Marrakech, il fallait que BHL fréquente Lagardère et Pinault pour que Vanity Fair lui consacre un dossier, lequel dossier lui ouvrirait les portes de Washington DC et Los Angeles, lui permettant de rencontrer les hautes sphères américaines et la famille de Pearl. S’il a tant aimé les caméras, c’est témoigner du vidéo-meurtre ultime. Qui a tué Daniel Pearl ? inaugure la « real-littérature » : c’est un snuff book (la scène du meurtre, insoutenable, évoque les pires pages de Bret Easton Ellis). Capote nommait ce genre la nonfiction novel. BHL sait que la violence sommeille en chacun de nous, et c’est pourquoi il faut la traquer. Il faut oser écrire que l’Irak était moins dangereux que le Pakistan. Contrairement au général Musharraf, Saddam Hussein n’abritait pas Oussama Ben Laden, ne disposait pas d’armes de destruction massive, et ses services secrets ne saignaient pas les journalistes étrangers. Dépassez vos préjugés, oubliez votre agacement devant le mégalomane BHL. Ce touriste du terrorisme s’avère aussi l’anti-Baudrillard. Ce monde n’est pas déréalisé ; la réalité existe, il suffit d’y entrer. Voilà.


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