« Je suis sorti ébranlé de ce livre, de cette enquête, de ces voyages ; je ne suis pas revenu indemne, ni dans ma vision des hommes, ni dans celle de l’époque. J’ai vraiment été secoué par ce que j’ai vu. »

Bernard-Henri Lévy publie Qui a tué Daniel Pearl ? (Grasset), résultat d’une année d’enquête déclenchée par l’assassinat de ce journaliste américain sauvagement supprimé en janvier 2002 à Karachi par les « fous de Dieu » pakistanais, proches de Ben Laden et mille fois plus dangereux que les dignitaires du régime irakien qui vient de tomber. Entretien.

JOSEPH RAGUIN : L’exercice journalistique au Pakistan, là où vous avez principalement effectué vos recherches pour vos recherches pour votre dernier livre, est difficile. Au-delà de votre identification au journaliste Daniel Pearl, est-ce pour cette raison que vous avez choisi la forme du « romanquête », qui permet d’imaginer les choses lorsque les preuves font défaut ?

BERNARD-HENRI LÉVY : Ce livre est une enquête et non un roman. Il y a l’équivalent de quinze pages de roman seulement, quand j’entre dans l’intériorité des deux principaux personnages, Pearl et son ravisseur, Omar Sheikh. Mais toute enquête conduit vers la difficulté. Chercher la vérité au Pakistan est difficile. Le faire en tant qu’écrivain ne facilite rien. Enfin, être juif, comme je le suis, complique la chose, car c’est un crime en ce pays musulman. Journaliste et juif et américain, Pearl fouillait dans les zones interdites de ce pays : services secrets, Al-Qaïda, armes de destruction massive. Il en savait déjà trop…

Plutôt que d’un « axe du mal », ne pourrait-on pas parler d’un axe du néant, autour duquel viendrait tournoyer une sorte d’internationale terroriste, qui comprendrait aussi bien les algériens du GIA, les Tchétchènes preneurs d’otages du théâtre de Moscou que les musulmans extrémistes de la nébuleuse Ben Laden ?

Oui, il s’agit bien de cette géographie-là, dont le centre est bien le Pakistan. Quant au néant, ce qui est à l’œuvre maintenant, ce n’est pas le nihilisme de Dostoïevski, qui disait, lui : « Si Dieu est mort, tout est permis ». Non. Le nihilisme d’aujourd’hui dit : « Si Dieu est vivant, tout est permis ». Il se situe donc dans un trop-plein de religion, qui serait sa justification.

Votre second livre, en 1977, s’appelait La Barbarie à visage humain. Vingt-cinq ans plus tard, vous semble-t-il adapté au théâtre sanglant qui marque le commencement de ce XXIe siècle ?

Je dis la même chose depuis cette époque. Je poursuis le même combat, l’ennemi a juste changé de visage. Avec les barbares, dont les fascistes rouges et bruns, je n’ai pas changé d’adversaires. Et je recommande de s’y opposer. Je demeure inentamé dans ma détermination à les combattre.

Vous semblez tout de même changé…

On ne se met pas impunément dans la peau d’un mort pendant un an… Par rapport à ce que j’ai observé en Bosnie par exemple, il est plus impressionnant de suivre à la trace un seul mort, de s’attacher aux pas d’une victime. Et puis, j’ai vu beaucoup de lieux en proie aux forces du désordre et du mal, mais pas comme à Karachi. Cette ville de quinze millions d’habitants est une ville sans Occidentaux, sans femmes et sans lois, sauf celles des mafias et des partisans du djihad. À Karachi, on n’est plus tout à fait sur la même planète. C’est une ville dangereuse dans un pays dangereux, capable de détruire l’humanité. Voilà ce qu’avait compris Pearl. Il l’a payé de sa vie.


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