C’était il y a vingt ans.
Francesco Vezzoli, un artiste italien que m’avait présenté François Pinault, imagine une œuvre intitulée Democrazy, appelée à représenter l’Italie à la Biennale de Venise et composée de deux faux films de campagne censés illustrer les programmes de deux faux candidats à une fausse élection présidentielle américaine.
Sharon Stone joue la fausse candidate républicaine.
J’incarne le faux candidat démocrate, son double.
Mais les deux films se mêlent dans une cacophonie, presque insoutenable aux oreilles et aux yeux, dont le message implicite est que la démocratie est devenue une democrazy, une guerre d’images et de clichés, un cirque.
L’œuvre fait figure, à l’époque, d’aimable provocation.
Vingt ans plus tard, nous y sommes.
Et le réel, avec la réélection de Donald Trump, semble avoir, comme souvent, fini par imiter l’art.
Car, at the end of the day, comme on dit dans ces États-Unis où je me trouve et vis les derniers jours de la campagne, que s’est-il passé et sur quoi le scrutin s’est-il joué ?
Je passe sur les erreurs de Kamala Harris.
Et je passe sur son incapacité, dès le premier jour et dès le choix, notamment, de son colistier, à se démarquer de cette aile radicale qui semble devenue, en Amérique comme en France, le handicap numéro 1, la machine à perdre, des progressistes.
Ce qui était frappant, chez les soutiens les plus enthousiastes de Donald Trump, c’était la fascination pour Elon Musk, ses clowneries ou, en Pennsylvanie, ses achats de voix dignes de la République romaine finissante.
C’était la popularité de Robert F. Kennedy, conspirationniste notoire dont une partie du cerveau a été – ce n’est pas une blague ! – grignotée par un ver il y a dix ans mais dont le nom magique fut, sauf erreur, le seul à être scandé par la foule des supporteurs rassemblés, mardi soir, pour le meeting de la victoire, au QG de Mar-a-Lago.
Et ce fut le choc, surtout, de quatre images relayées sur les réseaux sociaux, recyclées dans les clips de campagne et orchestrées par les maîtres du « spectaculaire intégré » qui entouraient l’ancien et, bientôt, nouveau président : Trump en photo d’identité judiciaire, lors de son arrestation à la prison du comté de Fulton, comme un bras d’honneur à l’État de droit… Trump en serveur de McDonald’s, tournant en ridicule le passé de sa rivale… Trump dans un camion d’éboueurs, en vengeur d’un peuple « offensé » par l’« arrogance » des « élites »… et, bien sûr, Trump en ressuscité, poing levé, lors du meeting de Butler…
Aucune de ces images, sauf peut-être la première, n’était en soi déshonorante. Mais c’était le degré zéro de la politique.
Le triomphe du nihilisme et du kitsch.
Et c’était, avant même la victoire du candidat, la défaite de l’esprit démocratique et républicain qui est, depuis George Washington, puis Alexis de Tocqueville, l’honneur de l’Amérique.
À partir de là, qu’est-il permis d’espérer aux incurables optimistes qui ne se résignent pas à faire leur deuil de la vraie grandeur américaine dont le « MAGA » n’est qu’une caricature lamentable ?
Il reste à espérer qu’Alexandre Douguine, l’idéologue en chef de Poutine, se trompe quand, félicitant, parmi les tout premiers, le président élu, il tweete : « C’est notre victoire. »
Il reste à compter sur les derniers héritiers du Grand Old Party de Ronald Reagan pour résister au poutinisme qui sera, sans nul doute, la ligne de plus grande pente de la diplomatie du pays.
Il reste à prier pour que son « art du deal » n’amène pas Monsieur Trump à dealer avec l’Iran, qui est le principal allié de Poutine, un accord dont la complaisance éclipserait celle de l’accord nucléaire, de sinistre mémoire, dont Obama voulait faire son chef-d’œuvre.
Bref, il reste à miser sur la solidité d’institutions qui en ont vu d’autres et qui devraient, en principe, résister à la tornade populiste en train de s’abattre sur une moitié du pays.
Et il reste, de l’autre côté, à conjurer la menace de cet autre populisme qu’on appelle, dans les universités, le wokisme ; qui prétendait, deux jours avant le scrutin, m’interdire l’accès à l’un des campus de Claremont, en Californie ; et dont les jeunes de Stanford avec qui j’ai vécu la soirée électorale me disent qu’il commence déjà d’imputer aux Juifs (qui ont pourtant voté, à près de 80 %, contre lui) la responsabilité du désastre nommé Trump.
Car il ne faut pas l’oublier, me disent les étudiants que je rencontre.
Si saisissante que soit sa victoire, Donald Trump n’aura, selon la Constitution, plus le droit, au terme de son mandat, de se présenter encore une fois.
Au soir de son investiture, le 25 janvier prochain, il connaîtra donc le sort de ces présidents en sursis, dont les jours sont comptés et que l’on appelle, pour cela, comme les présidents battus, des lame ducks, des canards boiteux.
En sorte que, pour tous les nostalgiques, qu’ils soient de droite ou de gauche, républicains ou démocrates, de la « pastorale américaine », l’avenir recommence déjà demain.
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