Bernard-Henri Lévy est une personnalité connue et un intellectuel engagé de longue date dans le débat public. Ses prises de position, dès les années 70, contre les idéologies qui ont ensanglantées le XXe siècle, sa participation à la création d’un droit d’ingérence humanitaire, son engagement à Sarajevo, son témoignage sur la guerre civile en Algérie, sa défense de l’Etat d’Israël et sa passion pour le monde arabe, ses reportages en Afghanistan et en Irak aux côtés des combattants kurdes peuvent, tout à fait légitimement, provoquer des polémiques et des critiques dans une démocratie libérale digne de ce nom.
Le débat ou la haine ?
De même, ses choix vestimentaires, son allure, sa manière de s’exprimer peuvent nourrir l’ironie des humoristes. Personne n’est obligé de partager les opinions, les goûts et le style de Bernard-Henri Lévy. La diversité des commentaires dont il fait l’objet serait un phénomène normal, voire souhaitable, dans un pays où règne, par bonheur, la liberté d’expression, s’il n’y avait un malaise.
Le débat est une chose, la haine en est une autre. Or, si la haine n’a rien à faire dans la vie intellectuelle d’un pays libre, d’où vient celle dont Bernard-Henri Lévy est l’objet ? Quel crime a-t-il commis ? Le Monde Diplomatique vient de mettre en ligne un concentré de cette haine. Elle mérite qu’on l’analyse.
Même si je regrette que ses stratégies de communication aient parfois mal servi les causes qu’il défend, j’avoue partager la plupart des engagements et des convictions de Bernard-Henri Lévy. Je ne pense pas que désirer la pérennité de l’Etat d’Israël, la défaite du groupe Etat islamique et des Talibans, que dénoncer l’islamisme radical, qu’argumenter en faveur d’une philosophie politique garante des droits humains et des libertés, que rappeler l’héritage juif de la civilisation européenne soient des idées suffisamment démentes pour allumer la haine. Pourtant, Bernard-Henri Lévy parle rarement d’autre chose.
Alors, pourquoi cette haine contre un homme que je connais, je tiens à la préciser, et dont j’estime la fidélité et le courage ?
Un pacte d’assassins qui a laissé des traces
Il y a juste un siècle, Lénine prend le pouvoir à Moscou. En 1922, Mussolini prend le pouvoir en Italie et, onze ans plus tard, c’est au tour de Hitler de faire main basse sur l’Allemagne. Les communistes et les fascistes ont un point commun, autour duquel ils se déchireront et s’allieront tour à tour : la haine du bourgeois.
Chez les nazis, le juif symbolise la bourgeoisie : les arts et les lettres, le commerce et les échanges internationaux, le métissage, la dégénérescence de la race blanche. Cette vision des choses – qu’ils partageaient avec d’autres mots, parce que leurs idéologies partaient de points de vue différents – n’a nullement gêné Staline pour signer deux pactes avec Hitler, réunis sous le nom de Pacte germano-soviétique, pudiquement rapporté au singulier.
Ce pacte d’assassins, cette trahison fondatrice a laissé des traces. En brisant un tabou, elle a inauguré la secrète mais vivace compatibilité entre fascistes et communistes, officiellement ennemis irréconciliables et officieusement se nourrissant les uns des autres.
La défaite des nazis en 1945, puis l’effondrement du communisme avec celui du mur de Berlin en 1989 n’ont pas laissé sans descendance cette hybridation historique du pire du fascisme avec le pire du communisme. L’héritage en est la très protéiforme idéologie rouge brun, dont le talent pour le mensonge et la dissimulation lui vaut aujourd’hui d’être banale, voire à la mode sous sa forme « contestatrice radicale du système ». La démocratie parlementaire étant, tout le monde le devine, la nouvelle bête immonde qui se cache sous le nom de « système ».
Les chiffons rouge… brun
Bernard-Henri Lévy cumule les deux chiffons rouges qui excitent le plus le justicier rouge brun qui, parfois, ignore qu’il l’est, puisque l’inculture branchée permet à des individus d’être quelque chose dont ils ne connaissent ni l’histoire, ni même, parfois l’existence.
Bernard-Henri Lévy est juif, premier chiffon rouge avec lequel, si l’on était naïf, on laisserait s’exciter quelques nostalgiques du nazisme. Plus personne aujourd’hui n’est antisémite. Ça ne se fait plus. La récente qualification judiciaire du meurtre de Sarah Halimi le prouve brillamment.
Deuxième chiffon rouge, Bernard-Henri Lévy est un bourgeois fortuné. Et voilà qu’aux insultes des antisémites avérés, viennent s’ajouter celles des antisionistes de gauche. BHL incarne parfaitement ce qu’ont haï les deux grandes idéologies du XXe siècle. Et sans cesse, le pacte monstrueux des deux assassins fondateurs se renouvelle en mutant, et sans cesse, il est reparaphé par cette double signature.
Il ne s’agit pas de critiquer Bernard-Henri Lévy, il faut le détruire. Il ne s’agit pas d’un débat démocratique, mais d’une opération de nettoyage. Il ne faut pas discuter ses idées, il faut le salir. En livrant au public une compilation de tout ce qu’ils jugent haïssable chez lui, nos nouveaux justiciers désirent l’exclure de l’humanité dont ils sont, eux, les dignes représentants. C’est une gauche radicale et morale qui défend la veuve, l’orphelin et l’antisémite.
Bien que je ne me fasse guère d’illusions, comme je voudrais que ma voix porte ! Comme je voudrais alerter mes semblables, naïfs, distraits ou ingénus, sur la gravité du symptôme. Cette haine, qui, dans un pays cultivé, peut se cristalliser publiquement et sans avoir l’air de choquer grand monde sur la personne de Bernard-Henri Lévy devrait réveiller notre vigilance critique. Faute de quoi, la liberté d’expression ne servira bientôt plus qu’à publier des listes de traîtres et de coupables.
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