Bernard-Henri Lévy a repris la plume pour venir au secours des intellectuels. Il en fait « l’éloge », dit le titre de son ouvrage. En fait, il constate leur quasi-disparition, s’en inquiète, rêve de les voir reprendre le dessus. En quatre chapitres, il dresse le portrait de ce monde qui bat de l’aile, en gris celui de la culture. La phrase est sèche, élégante, elle vous emporte. On commence, on va jusqu’au bout. Qu’apprend-on ?

Premièrement, qu’il y a malaise. La culture ne sait plus où elle est. C’est le règne de la confusion, dit BHL, on mélange tout, « une page de Proust et un dessin de Manara, une toile de Jackson Pollock et un graffiti new-yorkais ». L’idée de culture a « explosé », elle est partout et donc nulle part. « S’il y a malaise, c’est que pour la première fois dans son histoire, elle n’a plus tout à fait de définition. » Et les idées suivent : elles ne savent plus où elles sont parce qu’on a dénoncé certaines idéologies, on a cru que « l’idéologie en général était à proscrire ». Du coup, la pensée erre, au ras du sol, c’est le minimum vital, le « minimalisme ». On ne cherche plus le débat, mais le compromis. « Religion du consensus, naissance d’un drôle de personnage, clone de Sartre et d’Aron, Sartron. »

Les intellectuels se sont repliés. Est-ce leur faute ? Pas seulement. Le sol sous eux s’est effondré, ce sur quoi ils s’appuyaient, s’est volatilisé, « la fois dans la raison, la vérité absolue, la justice, les valeurs fixes, la confiance en l’abstraction… » Tout est parti, les intellectuels coulent, remplacés par les bateleurs des médias, les Tapie, les Renaud et autre Montand.

Est-ce négatif ? On arrive au deuxième chapitre. Pas absolument, si ça peut jouer le rôle de signal d’alarme ? De quelle manière ? En levant « l’hypothèque politique que cette figure d’intellectuel fait peser sur l’écrivain ». Celui-ci n’en peut plus du « chantage » de la politique, il a besoin d’air, de silence, de comprendre le sens de son engagement. De se remettre en cause. Car l’engagement. De se remettre en cause. Car l’engagement, dit Bernard-Henri Lévy, est « quelque chose de trouble ». Il y a chez les intellectuels comme une « misère », une frustration, qui les pousse à s’engager, « un fond sacrificiel, pénitentiel ou obsessionnel dont il est temps qu’il essaie de se déprendre ». Si le malaise débouchait sur cette prise de conscience, alors il aurait eu son utilité, souligne l’auteur qui note en passant qu’après tout qu’il y a d’autres engagements que « l’engagement », qu’on peut être écrivain, sans être intellectuel, au sens traditionnel.

Mais fi de l’optimisme, ce malaise est grave : les intellectuels sont indispensables à notre société. En pratique, parce qu’ils ont été, en partie, parce qu’ils ont été, en partie, « l’honneur de notre temps » en divers moments de l’histoire, affaire Dreyfus, années 30, guerre d’Algérie, dissidents. En théorie, parce qu’ils représentent le pari de l’intelligence. Et surtout, finalement, parce qu’ils pensent, c’est tout de même leur métier.

Donc, ils sont indispensables. Mais comment renaîtront-ils ? C’est le quatrième chapitre, le plus incertain, le plus flou, on revient à la case-départ. Il faut retrouver « la foi en raison, l’idée de vérité, de justice, la confiance dans les valeurs occidentales », plaide l’auteur. Simple restauration ? Non, renaissance, émergence « d’un intellectuel du troisième type », moins engagé, moins tapageur, plus hésitant, pessimiste, revendiquant « le droit de choisir ses morts ».

Le livre (l’opuscule) s’achève sur un « dialogue imaginaire » de l’auteur avec lui-même. On le referme heureux, parce qu’on a tout compris, mais avec une légère faim. C’est simple, trop simple. On a le sentiment que BHL a survolé son sujet, avec élégance, brio, mais un rien de négligence. « S’esquiver, si facilement ? », interroge-t-il lui-même. « Non, répond-il. On n’est pas sûr qu’il ait tenu parole. »


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