Que l’ex-patron libéré de la maison de verre où Facebook nous a tous enfermés, Chamath Palihapitiya, déverrouille la porte de la cage et ouvre ainsi le bal de la révolte contre le meilleur des mondes triomphant.
Que les Américains redeviennent felliniens, après avoir été berlusconiens.
Que Poutine se mette bûcheron, pêcheur au gros ou auxiliaire de barrage de castors.
Que les politiques cessent de dire « celles et ceux » ; qu’ils alternent (peut-être, une fois sur deux, « ceux et celles » ?).
Que, dans l’ordre des idées et des dires, des voix écrites et parlées, une grâce se réveille, un bon levain, un venin heureux – et « au fond de l’inconnu, du nouveau ».
Que les Kurdes aient des jours moins âpres et des exils plus doux, car le jour vient toujours où les damnés de l’Histoire tournent le dos aux heures tristes – et soufflent.
Que le président Macron dise, à Pékin, qu’il ne veut pas d’un plan Marshall chinois et, à Téhéran, que la Perse était plus grande que l’Iran.
Que Jean-Luc Mélenchon, soudain dessillé (ou dégrisé), découvre que La France insoumise est aussi réactionnaire que celle de Marine Le Pen ; qu’ils se marient ; qu’ils aient quelques enfants ; et que, gagnés à la paix des ménages, ils se décident à nous lâcher.
Que, dans le même ordre d’idées, Michel Onfray entre pour de bon à la Trappe, non pour se convertir, mais pour y faire une petite cure de silence.Qu’on ne fasse pas du cinquantenaire de Mai 68 l’éternel retour des querelles françaises ; qu’on y célèbre seulement la pure splendeur du mot ébranlement.
Qu’on retrouve, dans le quarantenaire de la « nouvelle philosophie », l’écho d’un temps peu raisonnable où les joueurs de la pensée étaient moins prévisibles que les flics, profs et scoliastes qui, quatre décennies plus tard, en crachent encore leurs poumons.
Que les écologistes brûlent leurs effigies païennes ; qu’ils désavouent leur mère nourricière avec sa mine de duègne et de remède contre l’amour ; qu’ils aident juste à réparer le monde en y replantant des jardins profus, rieurs, libertaires.
Qu’on joue à la mairie de Paris un monodrame mystérieux où la récitante répétera mille et une fois cette proposition simple mais, soudain, très lumineuse : « Sous la plage, les pavés. »
Que le Lion De La Philosophie, j’ai nommé le ci-devant Badiou, qui a eu le non négligeable mérite de survivre depuis cinquante ans, consacre quelques-uns de ses rugissements à la belle joie de penser, et de rire, contre soi – ce qui ajoutera à sa folie le grain qui lui manque.
Que l’on cesse d’inventer des fêtes de rien pour meubler le rien ; et que l’on imagine des fêtes de tout pour exalter le tout.
Que les ministres essaient, au moins une fois, de versifier, les experts de délirer, les commentateurs de se révolter – alors, peut-être, diront-ils quelque chose d’exact.
Que s’ouvrent des lèvres nouvelles pour réarticuler des vers de Baudelaire et de Du Bellay.
Que des rappeurs récitent, avec la rage qu’ils voudront, « Andromaque » ou, mieux, « Polyeucte ».
Que les mains se souviennent qu’elles restent quand même, malgré le foot, l’une des plus nobles parties du corps.
Que les bobos mûrissent, que les bourgeois rougissent, que les artistes grandissent.
Que Trump se coupe les cheveux et que son affreuse banane, perchée sur son crâne comme une crotte de pigeon, fasse descendre une note de rockabilly, à l’étage en dessous, dans son cerveau (si sa tête se met à swinguer, peut-être cessera-t-il de tweeter ?).
Que Kevin Spacey, réchappé d’une meute de bouches à dents journalistico-castrateurs qui claquent comme des castagnettes autour de son hologramme effacé, refasse, sans délai, ce qu’il fait mieux que personne : la comédie.
Qu’on se souvienne que toutes les fautes ne sont pas inexpiables, que la présomption d’innocence est une grande invention de l’humanité et que la moraline (Nietzsche) est l’enfant naturel d’un couple diabolique : l’extrême religion et l’athéisme devenu fou.
Que Matthieu Kassovitz, qui vient de traiter les policiers de « bande de bâtards », consacre son délicieux phrasé neuilléen à dire des poèmes de Léo Ferré, des éclats de Joseph de Maistre et même, s’il le veut, des fulgurances de Rumi – tu comprends, mec ?
Que Finkielkraut soit heureux. Que cesse le feu avec Régis Debray. Que les échanges se renouent, enfer ou ciel, politique ou pensée, qu’importe – pourvu que l’on se parle.
Que le centenaire de 1918 soit l’occasion, non de commémorer la guerre, mais de célébrer la désertion.
Que demain se découvre pour ce qu’il est : ni une projection de futurologue pédant, ni une démonstration de sociologue affligeant, ni une statistique d’économiste décevant – mais un rêve, un voile, un rire, une larme, un cri, la merveille du vivant.
Que les drogués aux fake news soient saisis d’inquiétude devant des beautés et des vérités.
Que l’immensité de nos doutes et de nos troubles soit reconnue comme le plus précieux des trésors et le signe de notre liberté.
Que le jour vienne après les mille et une nuits – au moins – qui sont tombées sur l’Europe.
Que nous soyons plus malins, enfin, que le petit Aladin et que nous disions au génie de la lampe : « Je fais le vœu que tous mes vœux s’accomplissent – car trois vœux, c’est peu. »
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