Les médias iraniens n’ont décidément pas leur pareil pour semer la confusion.

Et voilà qu’aux dernières nouvelles une femme voilée de la tête aux pieds et à la voix méconnaissable mais se présentant comme Sakineh serait venue, à la télévision, démentir les informations données à La Règle du jeu et, à travers La Règle du jeu, aux médias occidentaux par son fils et son avocat : elle n’aurait jamais été fouettée ; elle n’aurait subi aucun mauvais traitement lors de son long mais sympathique séjour dans les cachots de la prison de Tabriz ; et c’est de son plein gré, dans la bonne humeur et la joie, qu’elle serait venue, le 12 août, lors d’une première séance télévisée du même style, s’accuser de complicité dans un meurtre, celui de son propre mari, dont la justice l’avait, quatre ans plus tôt, reconnue parfaitement innocente.

La mise en scène prêterait à sourire si elle n’était indigne.

Et l’on tentera donc, ici, d’éviter d’entrer dans les débats oiseux pour aller à l’essentiel.

Coups de fouet ou pas, Sakineh Mohammadi Ashtiani se voit reprocher un crime qu’elle n’a pas commis et pour lequel elle a, je le répète, été mise hors de cause dès septembre 2006 (complicité de meurtre) ainsi qu’un autre qui n’en est pas un et qui, à nos yeux en tout cas, aux yeux de tous les hommes et femmes libres du monde entier, est un geste de liberté (avoir, peut-être, aimé un homme qui n’était pas le sien au regard de la société et de ses codes).

Pour ces deux « crimes » (pour le second, en tout cas, mais vu au prisme du flou entretenu, le temps passant et, peut-être, les manipulations aidant, autour du premier) il s’est trouvé des juges pour, non seulement la condamner, mais lui promettre la mort la plus atroce qui soit : enterrée jusqu’au menton et bombardée de cailloux jusqu’à destruction de son visage.

En sorte que, pour un éventuel adultère (mais aggravé par cette idée, complaisamment suggérée, ces jours-ci, par les petits télégraphistes de la République islamique d’Iran : l’on disposerait, finalement, de preuves « irréfutables » de sa culpabilité dans l’autre crime, celui dont les spécialistes de la propagande à Téhéran savent qu’il ne compte pas pour rien en Occident et qui est le meurtre du mari…), elle est vouée à subir le même sort que les 136 hommes et femmes (20, depuis 2000) qui ont déjà été lapidés depuis que la République islamique existe.

Voilà la réalité.

Voilà l’horreur qui, depuis des mois, révulse les consciences et dont cette mère de famille de 43 ans est devenue l’incarnation.

Et voilà la chose, la seule chose, qui doit nous importer si nous voulons, par-delà le cas de Sakineh, poser le problème des 23 autres Iraniens, dont 4 femmes, qui attendent de subir le même sort dans le couloir de la mort par lapidation des prisons iraniennes.

Il ne faut pas tomber dans le piège.

Il ne faut pas entrer, si peu que ce soit, dans la logique d’un appareil judiciaire aux abois – non plus, d’ailleurs, que dans la désinformation distillée, depuis quelques jours, par une petite troupe de salopards adeptes de l’inusable théorie du couteau sans manche auquel il manque la lame : Sakineh ne risquerait plus la lapidation (soit, mais qu’on nous le dise et qu’on le notifie à Houtan Kuan, son avocat) ; la lapidation, du reste, n’existe pas en Iran (faux, je viens de le dire, et les ONG internationales ne cessent de le rappeler) ; et si, d’aventure, la jeune femme finissait quand même par subir ce châtiment qui n’existe pas, ce serait la faute à ceux qui l’ont trop bruyamment défendue et qui l’ont, ainsi, mise en danger (dommage que l’on n’ait pas l’avis, sur la question, des dizaines d’homosexuels, royalistes, communistes ou supposés tels, couples adultérins, qui ont été lapidés depuis 1979, mais tranquillement, silencieusement, et sans que nul, pour le coup, n’ait été informé à temps de l’imminence de leur calvaire).

Et surtout, surtout, il ne faut à aucun prix dévier de la ligne de conduite que l’on s’est fixée et qui consiste à militer, du même mouvement, pour la mise en liberté d’une Sakineh dont les propres enfants (qui sont aussi ceux, bien entendu, du mari assassiné) viennent, ce vendredi encore, dans les colonnes du Figaro, de redire l’absolue innocence et pour l’abrogation d’une peine qui fait honte à la civilisation en général, à la civilisation perse en particulier et, au-delà même de l’Iran, dans les autres pays (Soudan, Afghanistan, Nigeria, Arabie saoudite…) où elle est encore pratiquée, à l’honneur d’un texte, le Coran, dont on ne répétera jamais assez qu’il ne s’y trouve pas une sourate la recommandant.

Le reste, tout le reste, n’est qu’argutie, manœuvre de diversion, mauvais théâtre.

Le reste, tout le reste, à commencer par cette nouvelle comédie des aveux télévisés, n’est qu’une pitoyable réponse à une mobilisation qui ne faiblit pas et qui embarrasse chaque jour un peu plus la République islamique d’Iran.

Celle-ci doit s’y résoudre : il y a, en France, des centaines de milliers de femmes et d’hommes (et dans le monde bien davantage) qui ont signé la pétition de laregledujeu.org et qui resteront mobilisés tant que justice ne sera pas rendue.

Et ce type de mise en scène, cette façon de jouer avec le destin d’une innocente et avec les nerfs de sa famille, ne peut avoir, du coup, qu’un effet : non pas briser l’élan mais, au contraire, l’intensifier ; non pas créer le doute, mais susciter une indignation redoublée.


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