Peut-être la diplomatie est-elle l’art, non de dire, mais de ne pas dire. Peut-être n’y a-t-il pas trop de sens à convoquer le parler-vrai dans un ordre où ne devraient l’emporter que le cynisme, les langues de bois. N’empêche… Pour qui se soucie, aussi, de vérité, pour qui a la faiblesse d’imaginer qu’un chef de gouvernement puisse avoir également pour tâche de briser la loi du silence et du mensonge, pour qui croit, en un mot, que la loi du non-dit ne peut pas rester le dernier mot de la politique d’un grand pays, la petite phrase de Lionel Jospin évoquant le caractère « terroriste » des actions du Hezbollah était frappée au coin du bon sens et il faut, pour l’ignorer, toute l’insondable mauvaise foi des tenants d’une « politique arabe de la France » dont il faudra bien, par parenthèse, se décider à vérifier un jour de quels intérêts politiques, idéologiques, voire financiers, elle est l’aimable alibi.

Car enfin… Comment fallait-il qualifier un mouvement qui, depuis vingt ans et plus, s’était fait une spécialité des assassinats à l’arme blanche, des attentats à la voiture piégée ou à la bombe, des détournements d’avions meurtriers ? Comment éviter de dire « terroriste » à propos d’un « parti de Dieu » dont tous les Français se souviennent qu’il fut mêlé à quelques-unes des prises d’otages (Jean-Paul Kauffmann, Marcel Carton, Marcel Fontaine, Jean-Louis Normandin, Aurel Cornea, les fameux otages français du Liban) les plus spectaculaires de l’époque ? Était-il si scandaleux, vraiment, de prononcer ce mot, « terroriste », à propos d’un parti qui, il y a encore trois ans, au moment même où, à Londres ou Buenos Aires, il commanditait des attentats antisémites, mettait un contrat sur la tête de Yasser Arafat et faisait dire à l’un de ses hauts responsables, Cheikh Hassan Nasrallah : puisse un « policier palestinien » avoir un jour « la dignité d’aller voir Arafat », cette humiliation vivante « pour la Palestine, les Arabes et l’Islam », et de le traiter comme Khaled Islambouli traita naguère Anouar el-Sadate, c’est-à-dire en l’exécutant ? Et quant à nous dire enfin que ces terroristes sont avant tout des « résistants » qui ne songeraient qu’à libérer le Liban des forces qui l’occupent, n’est-ce pas ajouter l’absurde à l’odieux quand on sait que c’est l’armée syrienne qui occupe la quasi-totalité du pays (et que les bataillons du Hezbollah sont ses supplétifs sur le terrain) – et quand on sait aussi que, lorsque Israël s’engage à évacuer, avant l’été 2000, l’étroite bande de terre qu’il contrôle au-dessus de Kiryat Schmona et qui lui permettait de sécuriser les villages de Galilée attaqués à la roquette, ces admirables « résistants » répondent qu’ils n’en ont cure et que leur lutte ne s’arrêtera pas pour autant (attendu que leur vrai but est – sic – la destruction totale de l’État hébreu) ?

Ce ne sont pas là des « petites phrases » mais des faits. Ce ne sont pas des interprétations, sollicitations ou objets de discussion, mais l’expression même de la réalité. Que cette réalité ne soit pas la seule, que le Hezbollah, avec le temps, soit aussi devenu un parti politique, représenté au Parlement et ancré dans la société civile libanaise, qu’il gère des écoles par exemple, des équipes de football, une chaîne de télévision, des journaux, c’est exact. Mais cela n’ôte rien au fait qu’un appareil contrôlé idéologiquement par l’Iran et financièrement par la Syrie ne saurait être présenté comme « démocratique » et que, d’une force militaire liée à cette armée d’occupation qu’est, encore une fois, l’armée syrienne, on dirait plutôt que, comparaison pour comparaison, et à tout prendre, elle s’apparente à une milice collaborationniste. M. Jospin, de ce point de vue, n’a commis qu’une erreur. Ce n’est pas d’avoir dit, mais d’avoir paru se dédire. Ce n’est pas d’avoir « gaffé », mais d’avoir semblé, revenu à Paris, en retrait sur sa propre audace politique. Mais enfin, l’essentiel était dit. Et fait. L’essentiel ? Un pavé dans les miroirs trop oublieux des chancelleries et, d’abord, du Quai d’Orsay. Un faux pas, peut-être, mais dans la bonne direction, la seule, celle de la paix au Proche-Orient et de la double obligation de garantir la sécurité d’Israël en même temps que le droit des Palestiniens à disposer d’un État. Et puis enfin – et ce n’est pas rien – le spectacle très étrange de ce Premier ministre lapidé, mais qui ne cille pas sous la caillasse. Puisqu’il est partout question de l’image de la France dans le monde, et dans cette région du monde en particulier, en voici une, d’image, dont je parie qu’elle restera. Image de dignité. Et de courage.


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