Est-il encore possible, face aux images du carnage de Cana, face au spectacle odieux, insupportable à la conscience, de ces corps d’enfants que l’on sort des décombres de leur maison, est-il encore possible, dans l’émotion, le chagrin, le deuil qui nous étreignent, de rappeler quelques faits ?

1. Cette guerre terrible, cette guerre qui, comme toutes les guerres d’aujourd’hui, frappe les civils et les enfants, Israël ne l’a pas voulue. C’est le Hezbollah qui l’a décidée. C’est l’Iran qui l’a programmée. C’est l’Iran et le Hezbollah qui, froidement, posément, à la veille de la réunion du G8 qui devait débattre de l’attitude de la communauté internationale face aux ambitions nucléaires de Téhéran, en ont décidé l’heure, la dramaturgie, le théâtre. Israël s’était retiré de Gaza il y a six mois. Du Liban il y a six ans. Israël venait de se doter d’un gouvernement si profondément convaincu que la tâche qui lui incombait était de faire, non la guerre, mais la paix que l’une de ses décisions inaugurales fut, pour la première fois dans l’histoire du pays, de diminuer ses dépenses militaires. Et voilà des fous de Dieu qui, sans conflit territorial ni litige, sans but de guerre, sans même s’embarrasser, par exemple, de revendications liées à la cause palestinienne, choisissent ce moment pour imposer leur guerre. C’est un fait.

2. Israël, contrairement à ce qui se dit et se répète, contrairement aux formules stéréotypées, ressassées jusqu’à la nausée, sur le « petit pays puni par le méchant Israël », ne fait pas la guerre contre le Liban. Il fait, et la différence est de taille, la guerre à un ennemi qui a choisi le Liban pour y installer les qassam, katiouchas et autres missiles qu’il lance sur ses villes et qui, par ailleurs – cela aussi est un fait – avait transformé toute une partie du pays du Cèdre en une sorte de colonie iranienne. La riposte d’Israël est une riposte qui, autrement dit, avait un double but. Primo, casser la machine de guerre qui le menaçait. Mais, secundo, libérer le Liban lui-même de l’emprise d’un Hezbollah dont le sectarisme, l’obscurantisme, le fanatisme, la culture de la haine et de la violence tuaient à petit feu la tradition de paix et de tolérance de ce Liban cosmopolite dont nous avons tous, moi le premier, la nostalgie.

3. Car il n’est pas vrai, non plus, qu’Israël soit devenu, comme le disent certains, cette machine folle, accumulant comme à plaisir les destructions et les victimes civiles. Israël – la différence, là non plus, n’est pas mince – ne vise pas les civils. Israël, contrairement au Hezbollah qui cible Haïfa, Safed, Nazareth, cible des objectifs militaires dont le Hezbollah, et le Hezbollah seul, fait en sorte qu’ils soient fondus dans la population. On doit pleurer les morts de Cana. On doit, et c’est d’ailleurs ce que fait Jérusalem, enquêter sur l’origine de la faute. Rien ne peut ni ne doit éluder l’autre question : entre les officiers qui ont donné l’ordre de tir après avoir appelé la population à se mettre à l’abri et ces véritables preneurs d’otages qui, avec un cynisme qui n’a d’égal que leur goût de la mort et du martyre, avaient installé une batterie lance-missiles dans une maison pour, au moment de s’enfuir, laisser derrière eux des dizaines de femmes, vieillards et enfants transformés en boucliers humains et en instruments de propagande – qui porte la responsabilité la plus lourde ?

4. Il faut essayer de penser ensemble cette présence sur l’une, sinon deux, des frontières d’Israël de missiles capables d’atteindre ses villes ; le fait que ces missiles soient à la veille du saut technologique majeur qui leur permettra, chacun le sait dans la région, d’être équipés en armes chimiques ou bactériologiques effroyables ; et le fait, enfin, que tant le chef du Hezbollah que son maître Ahmadinejad n’ont jamais fait mystère de leur but ultime qui est de rayer Israël de la carte… Il y a là un mélange pour le moins détonant. Il y a là des paramètres qui, sans même parler de ces autres victimes civiles que sont les victimes juives des kibboutz du nord du pays, sans même parler de ces centaines de milliers de réfugiés israéliens qui fuient, eux aussi, les bombardements mais dont on voit étrangement peu d’images, créent une situation sans pareille. On peut débattre – et on ne s’en prive pas, non plus, à Tel Aviv – sur la tactique, voire la stratégie, militaire israélienne. Ce qui est indiscutable – et qui explique, pour une bonne part, la vigueur de la riposte de Tsahal – c’est ce sentiment, justifié, d’avoir affaire à une menace vitale, essentielle et, dans une large mesure, inédite.

5. Si légitime que soit l’émotion mondiale face aux soixante morts de Cana, il est difficile de ne pas poser une toute dernière question. Où étaient-ils, les manifestants du Caire ou même de Paris, quand Poutine assassinait deux cent mille civils tchétchènes ? Pourquoi les entendait-on si peu quand ce sont les musulmans du Darfour ou de Bosnie que l’on exterminait ? En vertu de quelle étrange logique les mêmes acceptent-ils, sans états d’âme, les soixante morts par jour, donc le Cana quotidien, de la guerre civile irakienne ? Pour ceux-là, quand des musulmans sont égorgés par d’autres musulmans à la porte d’une mosquée, c’est un fait divers. Quand c’est l’Etat juif qui endeuille un village libanais, ce serait un crime contre l’humanité.


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