En principe, c’est un livre sur les fameuses « caricatures de Mahomet » que l’auteur, il y a deux ans, en solidarité avec le journal danois qui les avait publiées, décida de reproduire dans Charlie Hebdo.

Apparemment, c’est aussi un livre sur l’affaire Siné, ce vieux « gauchiste d’extrême droite » (Desproges), collaborateur du même Charlie, qui, en 1982, éructa sur l’antenne d’une radio : « je suis antisémite et n’ai plus peur de l’avouer » et qui, l’été dernier, après un dérapage sur les rapports des juifs et de l’argent, dut quitter le journal pour de bon.

En réalité, par-delà cette double circonstance, Reviens, Voltaire, ils sont devenus fous (Grasset) est un livre dense, grave, qui prend à bras-le-corps quelques-unes des questions les plus essentielles, les plus aiguës, de notre temps – et qui, ce faisant, rappelle ou établit :

1. que le prétendu interdit, qui fut au cœur de l’affaire des caricatures, de représenter le visage du prophète n’est nullement attesté dans le Coran ;

2. que l’islam – comme le christianisme ou le judaïsme – est une grande et belle chose quand il s’adresse à la conscience du fidèle, mais qu’il n’est plus dans son rôle quand il prétend dicter sa loi (ne pas représenter ceci… ne pas offenser cela… traiter de telle façon telle catégorie de la population…) aux artisans de la loi civile ;

3. que le port du voile, notamment, postule que la femme n’est plus un être humain à part entière mais un élément perturbateur, ontologiquement provocateur, dont il faut occulter, contenir – Val dit neutraliser – l’intolérable nuisance (cachez ce visage que je ne saurais voir…) ;

4. que l’argument que l’on invoque alors (« mais vous ne comprenez pas ! cette obligation de voiler relève d’un contexte civilisationnel qu’il est raciste de contester ! ») est un argument lui-même raciste car susceptible de justifier, au nom du même respect du même contexte, des pratiques clairement barbares du type lapidation des épouses adultères ou excision des petites filles ;

5. que c’est faire affront aux musulmans et à la grandeur, justement, de leur culture que de décréter plus « excusables » qu’ailleurs les atteintes à la démocratie et aux droits de l’homme dont l’oumma est le théâtre ;

6. que c’est leur faire un affront plus grand encore que de critiquer sans relâche, quand elles sont allemandes, italiennes, françaises, les résurgences du fascisme – mais de s’empêcher de le faire quand c’est un peuple arabo-musulman qui, d’aventure, en est victime ;

7. qu’il y a eu un nazisme dans le monde arabe ; il y a eu, naturellement, un antinazisme (Mohammed V refusant d’appliquer les lois de Vichy…), mais il y a eu aussi un nazisme dont Val souligne bien qu’il fut une variante de celui qui embrasa, au même moment, l’Europe (Frères musulmans… ralliement à Hitler du Grand Mufti de Jérusalem… financement par le banquier Genoud de tel mouvement nationaliste d’avant et d’après-guerre…) ; et il est navrant, choquant, désastreux pour les peuples concernés, humiliant encore, qu’ils soient les seuls au monde à n’avoir pas été jugés dignes d’une saine dénazification ;

8. que le principe de non-ingérence, l’idée que les nations ont un droit souverain à se doter du régime et, s’il le faut, de la dictature de leur choix, le raisonnement selon lequel la remise en question de cette souveraineté relève d’une arrogance néocolonialiste mal déguisée – que tout cela, donc, ne vaut, bizarrement, que pour les peuples non européens, de préférence humiliés et pauvres : nous sommes-nous privés, pendant huit ans, de mettre en cause la politique de Bush ? nous privons-nous, aujourd’hui, de célébrer la victoire d’Obama ? pourquoi, en vertu de quel deux poids et deux mesures, ce droit de se mêler des affaires d’autrui s’arrêterait-il quand autrui est pauvre comme un Malien, génocidé comme un Sud-Soudanais, tyrannisé comme un Libanais ?

9. que cette façon, insiste encore Val, de soutenir « les » Palestiniens comme s’ils étaient un bloc, une masse indistincte, un tas, et non un peuple divers avec, comme tous les peuples divers, une droite et une gauche, des modérés et des radicaux, est, de nouveau, très étrange – au mieux un signe d’ignorance, au pire la preuve d’un incommensurable mépris ;

10. que l’antisionisme, par parenthèse, est toujours, par définition, un antisémitisme (quel autre moyen de continuer, en toute bonne conscience, de haïr les juifs ?) doublé d’une aberration géopolitique (de quelle autre nation ose-t-on dire que les fautes de son gouvernement la condamnent dans son essence ?) ;

11. que la géopolitique en dit souvent plus long que la métaphysique (l’axe poutino-hezbollo-chavézo-iranosaure ne vaut-il pas toutes les synthèses idéologiques ?) ;

12. qu’il y a deux idées, deux grandes idées, qu’emporte le déferlement de cet islamoprogressisme dont Val donne ainsi, pas à pas, l’exacte formule : le féminisme et l’internationalisme.

Comment rester féministe ? internationaliste ? comment demeurer fidèle au meilleur des trois héritages – antifasciste, anticolonialiste, antitotalitaire – qui sont le legs de notre jeunesse ? Par-delà la misérable affaire Siné et l’anecdotique bataille des caricatures, réponse dans ce beau livre de colère, de générosité et d’humour.


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