On nous avait fait le coup des aspects positifs de Vichy (bouclier, moindre mal, grandes réformes économiques et sociales…).
Voilà qu’on nous refait celui du rôle positif, voire de l’œuvre humaniste, de la présence française en Afrique (équipements, santé, Savorgnan de Brazza, Lyautey, nos ancêtres les Gaulois, l’école de la République…).
Je passe sur la méthode.
Je passe sur cette façon, toujours détestable, de demander au législateur et, demain, probablement au juge de dicter à l’historien les canons de la vérité.
Et je passe sur le pénible spectacle offert, en pleine assemblée nationale ou régionale, par ces responsables politiques rivalisant d’éloquence pour vitupérer, l’un la vague de racisme antiblanc qui déferlerait sur le pays, l’autre l’inconséquence de Bouteflika trop content de profiter de l’ancien colonisateur quand il s’agit de se faire accueillir dans un hôpital militaire parisien, l’autre encore (socialiste !) la dictature d’une pensée unique qui ne va quand même pas l’empêcher (et qui, de fait, ne l’empêcha pas) d’entonner, en plein hémicycle, face à un Front national d’abord éberlué puis ravi, le célèbre et fétide « c’est nous les Africains qui revenons de loin… » – fétide, oui, inexcusablement vulgaire, je n’insiste pas…
Quant au fond – car il y a une question de fond – il faut revenir à des considérations simples.
Le projet colonial, même s’il n’est pas le seul en cause et si les peuples d’Afrique n’ont pas attendu les négriers occidentaux pour pratiquer la traite des personnes et l’esclavage, est un projet pervers, fondé sur des règles qui font, en tant que telles, honte à une démocratie : code de l’indigénat, racisme d’Etat, droit des races dites supérieures à gouverner les inférieures.
L’idéologie coloniale, le corps de convictions et de fantasmes qui ont rendu possible la conquête militaire d’une partie du monde par une autre, n’est pas une idéologie génocidaire (le génocide est venu plus tard : cf. le Rwanda) mais c’est incontestablement, en revanche, une idéologie criminelle (et tant pis si, comme le fou qui dit, à midi, qu’il fait jour, tel idéologue néotiers-mondiste le dit aussi) : ainsi les 700 000 morts de la conquête de l’Algérie par Bugeaud et Pélissier; ainsi les 45 000 morts de Sétif ; ainsi les 90 000 victimes de la pacification de Madagascar ; j’en passe.
On peut dire et répéter, en d’autres termes, que l’Histoire est complexe, tragique, etc. ; on peut gloser à l’infini sur la délicate alchimie qui s’opère quand deux peuples et deux cultures sont mis au contact l’un de l’autre ; on peut rêver sur la ruse hégélienne de l’Histoire (encore que… je doute que ce soit Hegel qu’aient eu en tête ceux qui ont souhaité voir la nation « exprimer sa reconnaissance aux femmes et hommes qui ont participé à l’œuvre accomplie » dans les anciens départements d’outre-mer…) on peut rêver sur la « ruse », donc, qui veut que le meilleur sorte aussi, parfois, du pire et que les nationalismes africains se soient formés dans le miroir tendu, bien malgré elle, par la nation dominante : l’idée coloniale était, en soi, une idée perverse ; l’aventure coloniale a été, en son principe, une page sombre de notre histoire ; et il y a dans le geste de ceux qui veulent réviser cette évidence, il y a dans leur aplomb, leur passion, leur enthousiasme repu de beaufs qui se lâchent, un parfum de bond en arrière que l’on n’avait pas senti depuis longtemps.
Je comprends – je partage – le souci de ne plus voir les Français « se flageller en permanence ».
Je comprends – en cette heure de vertige identitaire, elle est, non seulement respectable, mais opportune – la volonté d’aider les Français à retrouver « un minimum d’estime de soi ».
Mais que ne célèbre-t-on, alors, ces autres hommes et femmes qui ne représentent pas moins la France et qui, pendant que Mollet et Lacoste pacifiaient les djebels au lance-flammes, prenaient, eux, le parti inverse ?
Que ne dresse-t-on des statues à ces autres Français qui, humbles ou fameux, venus de tous les milieux, issus de familles politiques et spirituelles diverses, ont compris, certains aussitôt, certains petit à petit, que c’est à un formidable dévoiement des Lumières et de l’esprit que correspondait l’idée coloniale ?
L’estime de soi ne serait-elle pas plus vive si, au lieu du petit blanc qui a fait « du bon boulot », l’on donnait à admirer les syndicalistes et les prêtres, les appelés, les fonctionnaires contre la torture, parfois les écrivains, qui ont dit et crié, souvent au péril de leur vie, qu’un peuple libre ne peut sans déshonneur en opprimer un autre ?
Puisque l’on cherche de quoi nourrir la bonne image narcissique sans laquelle il est probable, en effet, qu’une nation périt, que ne va-t-on voir du côté de Mendès plutôt que de Mollet ? de Sartre et de Aron plutôt que de Soustelle ? ou encore d’un François Mauriac qui, contre toute raison, contre les préjugés de sa classe et de son milieu, contre lui-même enfin, choisit la décolonisation ?
Voilà, oui. De même que le « côté positif » des années 40-44 fut l’insoumission des Français libres derrière l’homme du 18 juin, de même la seule part de grandeur de cette sombre époque coloniale tint, finalement, dans un nom : celui du catholique bordelais François Mauriac.
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