Déclaration du porte-parole du gouvernement, à propos du projet de loi sur le pouvoir d’achat. « Nous ne compterons pas sur les voix du Front national (sic) pour faire voter ce texte. » Puis : si « le Front national et ses parlementaires » votent le texte, très bien, ce sera « leur liberté », mais nous ne le leur aurons pas « demandé » et ce sera « toute la différence entre voter avec et voter grâce ». C’est très exactement la position de Pierre Mendès France quand il monte à la tribune de l’Assemblée, le 17 juin 1954, pour solliciter l’investiture du gouvernement que le président René Coty l’a chargé de former. On est en pleine guerre d’Indochine. Mendès est partisan d’en finir avec ce conflit colonial absurde, meurtrier et, depuis Diên Biên Phu, perçu comme suicidaire. Il sait aussi que le Parti communiste, pour des raisons qui lui appartiennent, est partisan d’un cessez-le-feu décidé à la conférence de Genève qui vient de s’ouvrir. Et l’ancien plus-jeune-député-de-France déclare qu’au moment du décompte des voix, il ne tiendra pas compte des 71 votes du PC (qui représente à l’époque plus de 5 millions d’électeurs mais dont l’agenda ne lui semble compatible ni avec l’idée qu’il se fait de la gauche ni avec les intérêts de la France telle qu’il la voit…). Le pari sera gagné. Cet « ultimatum lancé à soi-même », comme l’écrira, le lendemain, dans Le Figaro, André Siegfried, sera payant. Et Cassandre aura le double bénéfice de la victoire et de l’honneur puisqu’il finira avec 419 votes favorables sur les 466 que compte le Parlement et n’aura pas eu besoin, en fin de compte, de ceux des communistes. C’est à ce point que se trouve, aujourd’hui, mutatis mutandis, le gouvernement de Mme Borne. C’est cette jurisprudence Mendès que devront avoir en tête, tout au long du quinquennat, les macronistes. Et c’est ce qui rend, pour l’heure, absolument infondés les procès d’intention des plus braillards des « Insoumis ».

Exit Boris Johnson . Et, devant les démissions en cascade, dans les quarante-huit heures précédant son abdication, d’une soixantaine de ses ministres et secrétaires d’État, ce mot si cruel d’un des caciques de son parti : « cette fois, c’est le navire qui quitte le rat »… J’ai rencontré Boris Johnson, il y a trente ans, au temps où il était correspondant du Daily Telegraph à Bruxelles. J’avais été agacé par son côté baratineur, enjôleur, déjà menteur, qui le faisait ressembler au George Wickham d’Orgueil et Préjugés, le roman de Jane Austen. Puis, au moment du Brexit, j’ai détesté qu’il devienne une sorte de Mr Bean mâtiné d’un Falstaff passé par Savile Row et ressuscitant, aux dépens d’une Grande-Bretagne devenue la petite Angleterre, la phrase de Milton : « mieux vaut régner en enfer que servir au paradis ». Mais il y a un geste que je n’oublierai pas et qui, s’il ne sauve pas son bilan, rend rétrospectivement injustes les procès qui lui sont faits : c’est son arrivée à Kyiv, le 9 avril, alors que l’armée russe venait d’être repoussée et que les cendres de Boutcha, Borodyanka et Irpin fument encore. Je me trouvais, ce jour-là, dans la capitale ukrainienne. J’ai vu la stupeur, puis la reconnaissance, des rares badauds de la rue Khrechtchatyk voyant surgir, entouré de militaires lourdement armés et accompagné du président Zelensky dans son tee-shirt kaki, cet homme à la chevelure en bataille et aux allures de dandy déjanté venu dire qu’il était là pour « montrer le soutien indéfectible » du pays de Churchill au peuple du Maïdan. Et je sais le renfort que ce fut de voir un membre éminent du G7 venu dire que la mise en échec, par l’armée ukrainienne, dans les faubourgs nord de la ville, des « desseins monstrueux de Poutine » était « le plus grand fait d’armes du XXIe siècle » et que le soutien du Royaume-Uni serait, désormais, sans limite. Cette fois, il ne mentait pas. Londres devint, en effet, l’arsenal de la jeune démocratie ukrainienne. Et, de cela, il faut rendre grâce à « Bojo ».

Mon film, Pourquoi l’Ukraine , invité par la chaîne de télévision i24, à Tel-Aviv. Je connais, et comprends, la prudence d’Israël. Je sais que l’État hébreu est confronté, lui aussi, à une menace existentielle. Et je sais que cette menace vient, en particulier, du Hezbollah, lui-même armé par le régime iranien, lui-même allié à Bachar al-Assad et à Poutine. Néanmoins… Au président Yitzhak Herzog, puis face au public et à la presse, je parle de ces combattants filmés sur les fronts sud, entre Zaporijia et Marioupol, et dont le modèle est Tsahal. Je raconte ce rabbin qui, sur le site de Babi Yar, là même où furent massacrés et ensevelis 33 771 Juifs de Kyiv, me dit qu’Israël est, pour tous les Ukrainiens, le modèle de la nation assiégée mais résistante. Et puis je rappelle, bien sûr, l’importance du travail de mémoire, de deuil et de réparation qu’a entrepris le pays de la Shoah par balles et qui fait de lui, depuis l’an dernier, l’un des rares pays de la région à s’être doté d’une loi pénalisant l’antisémitisme. Solidarité des ébranlés. Peuples frères et nations sœurs. Alliance du chagrin et de la vaillance sur fond de crimes contre l’humanité. Tel est déjà le cas. L’État hébreu se tient, plus qu’on ne le croit et qu’il ne le dit lui-même, au côté de ce nouveau David qu’est le président Zelensky confronté à Goliath Poutine. Mais il faut faire plus. Mieux. Et c’est, aujourd’hui, mon rêve – et mon programme.


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