[…] La clairvoyance, tiens tiens… Parlons-en ! C’est, sans doute, la vertu dont regorge Bernard-Henri Lévy. Le philosophe. Le polémiste. Aujourd’hui, l’investigateur. Mais l’écrivain, surtout. On a beaucoup parlé de Qui a tué Daniel Pearl ? (Grasset). D’une enquête menée avec un grand courage et une rigueur exceptionnelle.

On a sans doute un peu moins rappelé le romancier qui y a participé ?

Il était une fois, au début des années 70, un jeune intellectuel qui commençait à se lasser de la rhétorique, que reproduisaient à l’envi les événements de Mai 68. Et qui penser porter ses pas à la rencontre du réel. Pas n’importe lequel. Celui que sécrétait un certain tiers-monde oublié de Dieu et des hommes. Il rapporta du Bangladesh une réflexion sur le nationalisme et la révolution, sur le heurt des communismes, sur l’histoire en général et le mal absolu, en particulier, qui alimenterait toute son œuvre (rééditée en poche sous le titre Les Indes rouges).

Découverte d’une sorte de charnier natal au cœur du territoire abandonné aux damnée de la terre.

Il ne s’y était pas rendu en voyeur mais affamé de connaissance. Certes porté par un élan romantique de type byronien, et gavé de réminiscences de Nizan et T. E. Lawrence. Mais rendez-vous fut pris.

Ce n’est donc pas un hasard si, trente ans après, ayant reconsidéré le rôle des intellectuels dans la cité et passé au peigne fin les idéologies, ayant aussi confronté, vérifié ses convictions sur plusieurs terrains, étant allé au charbon, ayant plus qu’à son tour mouillé sa chemise – de la Bosnie jusqu’au Proche-Orient et en Afghanistan –, s’étant même octroyé le luxe de relire, de revisiter Sartre, comme à la lumière de toutes ces expériences contemporaines, il a, foudroyé par un fait divers, décidé de retourner au Pakistan.

Ce pays dont le chroniqueur du New York Times, Thomas Friedman, dit que le Djihad y a lieu « tous les jours ».

Ce pays, aussi, dont Lévy disait, dans un article du Point en 1999, qu’il se trouvait « travaillé par un islamisme radical dont il n’était pas certain qu’il soit très accessible aux fameux codes clausewitziens sur l’équilibre de la terreur, la dissuasion, la montée aux extrêmes sans passage à l’acte, etc. »

Au supplice d’un homme assassiné par des islamistes, triplement coupable : d’être journaliste, américain et juif, BHL décide donc de consacrer tout le temps d’une longue enquête. C’est que, du temps, il en faut, pour remonter le cours des causes et des conséquences, relier entre elles des actions qui semblaient, de prime abord, n’avoir pas de commun dénominateur, et découvrir que Daniel Pearl était mort de sa propre enquête, d’en avoir trop appris… Sur les complicités et antagonismes qui se partageaient un État soi-disant ami des États-Unis. Et jusqu’à la menace nucléaire qu’il recelait et risquait de transférer aux terroristes.

Une victime, donc. Un homme lumineux, « amant de la vérité ». Un coupable aussi, un bourreau. Occidentalisé, mais choisissant de retourner contre l’Occident tout ce qu’il avait appris sur lui. BHL jette un pont entre celui-ci et celui-là. C’est ici que le romancier, en lui, doit relayer l’enquêteur. « Ne rien céder à l’imaginaire tant que le réel est là », mais s’en remettre à la vérité romanesque dès que l’information fait défaut.

Le secret de la réussite d’un livre aussi méticuleux qu’inspiré, c’est ce don d’empathie qui transporte son auteur. Dans la lignée de ces livres « hors genre » que sont L’Espoir, de Malraux, De sang-froid, de Truman Capote. Ou L’affaire Moro, de Sciascia.

À la librairie Chapitre XII, où il fut accueilli avec une grâce singulière, et au Centre communautaire et laïc juif, où a prévalu un enthousiasme militant, c’est cela, surtout, qui eut le loisir de s’exprimer.

Un livre nécessaire et grave, c’est toujours une fête. Bonnes vacances.


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