Amis du Tibet et de la cause tibétaine, je veux vous dire, une fois de plus, qu’il y a un autre désastre où le pouvoir totalitaire chinois porte une responsabilité écrasante : celui du Darfour.

Non que, bien entendu, l’État et l’armée chinois y soient directement impliqués.

Et non que, comme au Tibet, ils soient seuls responsables d’une crise qui n’a pu durer si longtemps que parce qu’elle avait l’assentiment, plus ou moins silencieux, de l’ensemble des nations (les États-Unis, par exemple, parlent beaucoup mais agissent peu ; la France, avant les élections, promettait encore plus et tient encore moins ; et ce n’est malheureusement pas la faute des Chinois si nul ne se décide à livrer les dix-huit hélicoptères nécessaires au déploiement de la force d’interposition et que réclame à cor et à cri le patron des opérations de maintien de la paix des Nations unies, Jean-Marie Guéhenno).

Mais la Chine, cela étant dit, reste le principal soutien diplomatique du régime assassin de Khartoum.

C’est elle qui, depuis cinq ans, fait obstacle à sa condamnation formelle par le Conseil de sécurité de l’ONU.

C’est elle qui le fait vivre en achetant son pétrole et en se servant de ses ports comme accès aux matières premières dont elle a un besoin vital et croissant.

C’est elle qui l’arme.

C’est elle qui fournit à Omar el-Béchir, son président, les avions, les camions, les armes lourdes et légères qui appuient ou équipent les milices de Janjawids qui sèment la terreur dans le Djebel Marra et ailleurs.

C’est sur elle, autrement dit, qu’il fallait faire pression depuis cinq ans – et c’est sur elle qu’il faudrait, plus que jamais, agir et peser – pour que s’arrête la plus effroyable destruction de populations civiles à laquelle il nous soit donné d’assister depuis la fin, il y a trois ans, de la guerre menée par le même el-Béchir contre les animistes et les chrétiens du sud du Soudan.

Car je veux dire aussi aux amis du Tibet et de la cause tibétaine que l’on a affaire, ici, à une sorte de carnage sans commune mesure, grâce au ciel, avec ce que connaît le Tibet d’aujourd’hui.

On tue au Tibet, naturellement.

Et le blocus de l’information y est tel que nul n’est capable de dire combien de dizaines de bonzes, d’étudiants, de jeunes, sont déjà tombés sous les balles de la soldatesque chinoise.

Mais au Darfour, hélas, on ne compte les morts ni par dizaines, ni par centaines, ni même par milliers ou par dizaines de milliers.

Mais au Darfour, hélas, c’est en masse que l’on périt, j’allais dire en vrac, sur une échelle qui ne peut se comparer, si l’on tient absolument à comparer, qu’à ce que connut le Tibet, il y a presque cinquante ans, lors de ces fameuses émeutes de 1959 où l’on dénombra, selon les statistiques officielles, jusqu’à 80 000 morts.

Mais au Darfour, donc, les Chinois couvrent, ou inspirent, une situation dont j’ai eu l’occasion de témoigner, il y a un an, dans un reportage publié par Le Monde puis par la presse anglo-saxonne : des zones entières du pays transformées en terre brûlée ; des centaines de kilomètres où l’on peut rouler sans croiser âme ou corps qui vive ; des réserves de rescapés traités comme du bétail ; le viol des femmes et des fillettes érigé en stratégie ; et, aujourd’hui même, à l’heure où j’écris ces lignes, les attaques aériennes qui reprennent, dans la partie ouest de la province, tandis qu’au moins 20 000 nouveaux déplacés sont coupés de toute aide humanitaire dans la seule région du Djebel Moon.

Alors loin de moi, évidemment, l’idée d’opposer ceci et cela.

Et rien ne m’est plus odieux, je l’ai maintes fois dit et le répète, que cette manie moderne que sont la concurrence des victimes et la compétition des agonies.

Mais tentons de pratiquer, au moins, la solidarité des ébranlés.

Étendons à la guerre du Darfour la vague de compassion et de colère qui enfle jour après jour.

Et cet élan de solidarité qu’ont su faire naître, à force d’obstination et de foi, les amis du Tibet et de la cause tibétaine, cette belle fureur qui s’ensuit et qu’avaient sous-estimée les bureaucrates obtus et sans mémoire qui règnent sur la Chine, la prise de conscience, en un mot, du scandale que sera, si rien ne change, le fait même des jeux Olympiques à Pékin, faisons au moins en sorte que tout cela concerne aussi les martyrs oubliés du Darfour.

Il y a deux conditions, deux, qu’un démocrate digne de ce nom se doit absolument de poser avant d’accepter l’idée que se tiennent, comme si de rien n’était, ces nouveaux Jeux de la honte : l’arrêt de la répression à Lhassa et l’arrêt du bain de sang dans la province darfourie du Soudan.

Vive le Tibet libre, soit ; mais, s’il vous plaît, n’oubliez pas le Darfour.


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