Iran. Pourquoi si peu d’échos, ce lundi matin, dans la presse européenne, aux manifestations qui ont tout de même eu lieu, ce samedi et ce dimanche, dans les rues de Téhéran ? À laregledujeu.org, grâce à Armin Arefi et ses amis iraniens de l’intérieur, nous les avons suivies en direct, minute par minute, rue par rue, twitts, photos, vidéos prises au téléphone portable et aussitôt postées, messages de détresse et d’espoir, appels au secours, minuscules et pauvres victoires – n’auraient-ils été que quelques milliers, voire quelques centaines, à défiler, n’auraient-ils été qu’une poignée à braver les miliciens bassidji à moto, les hélicoptères de combat tournoyant au-dessus du cimetière de Behesht-e Zahra, les ordres mêmes de leurs leaders les ayant appelés, la veille, à ne pas sortir de chez eux de peur du bain de sang possible à tout moment, qu’il fallait les accompagner en pensée, les saluer, les soutenir, les dénombrer quand on le pouvait, les nommer. Au lieu de quoi rien. Ou, disons, presque rien. Ainsi va la loi du spectacle. Un jour, la lumière. Le lendemain, une ombre inexpliquée. Et sur cette scène où se joue la paix de la planète en même temps que l’avenir de la démocratie dans le monde musulman, dans cet espace à haute tension où se livre la seule bataille qui vaille et qui est celle opposant, d’un côté, l’islam obscurantiste, fanatique, fascisant, d’Ahmadinejad et de ses alliés et, de l’autre, les tenants d’un islam moderne, modéré, ami des Lumières et des droits de l’homme, une chape de silence et de plomb. Navrant.

Plus que navrant, infâme, ce débat sur le boycott qui est comme la queue de la comète de l’affaire de la « flottille » de Gaza. Le blocus de Gaza est une chose. On peut le discuter, le déplorer, le trouver contre-productif, souhaiter l’assouplir. On peut, car c’est bien de cela qu’il s’agit, ouvrir le même débat qu’au moment des sanctions contre Milosevic, ou contre les racistes de l’Afrique du Sud d’avant Mandela, ou contre les geôliers du goulag tropical cubain : « efficace ou non ? effets pervers et lesquels ? ne risque-t-on pas, pour faire tomber une dictature, de faire un peu plus souffrir encore le peuple que cette dictature prend en otage et opprime ? » Ce que l’on n’a pas le droit de faire, c’est :

1. Renverser les rôles et transformer en gentils démocrates des gens (le Hamas) qui sont de la famille, donc, des nationalistes serbes d’hier, des racistes afrikaners d’avant-hier, des tortionnaires cubains d’avant-avant-hier ;

2. Dénaturer le sens des mots et, au terme d’un tour de passe-passe sémantique, transformer un blocus militaire (les armes ou tout autre produit censé, à tort ou à raison, servir à en produire) en un blocus humanitaire (il ne faut pas se lasser de le répéter : il n’y a pas de crise humanitaire à Gaza) ;

3. Tout mélanger, tout confondre et, par un effet de fausse symétrie qu’on essaie de nous vendre comme une vraie évidence, riposter au « blocus » par le « boycott » et, quand les uns stoppent les armes, répondre en interdisant les œuvres de l’esprit (l’affaire des cinémas Utopia qui ont apparemment fini, après moult atermoiements, petites lâchetés et calculs sordides, par déprogrammer bel et bien le film de l’israélien Leon Prudovsky – a-t-on, au moment de la guerre en Irak, jamais songé à boycotter un seul film américain ? a-t-on, au prétexte de l’occupation de Chypre par la Turquie, pensé priver le public français des films de Yilmaz Güney ? pourquoi ce deux poids, deux mesures ? au nom de quel obscur réflexe cette diabolisation d’un peuple et de ses artistes ? quand infamie rime avec crétinerie… quand les fedayin du dimanche entendent le mot culture…).

Cinéma, justement. S’il y a un film à voir, cette semaine, c’est celui de Romain Goupil, Mains en l’air, régal de malice et d’humour, concentré d’insolence et de liberté, gouaille, drôlerie, colère aussi, utopie vraie, comment ne pas baisser les bras même quand on met les mains en l’air, résistance à volonté comme on l’a dit de l’enfance – car c’est l’histoire d’une vieille dame qui, dans un lointain futur, se souvient de son enfance dans une France dont elle ne se rappelle plus le nom du Président mais dont elle se rappelle très bien, en revanche, que l’on y expulsait les enfants sans papiers. C’est le retour du Goupil de Mourir à trente ans. C’est l’éternel rebelle, soixante-huitard impénitent, dont j’ai, depuis trente ans, dans tous les combats que j’ai livrés, si souvent croisé la route. C’est le petit Romain des « luttes lycéennes » d’autrefois qui a dû décider, un jour, de ne jamais trahir les rêves de sa jeunesse et dont il faut bien dire qu’il ne se lasse pas de tenir parole. Un film d’enfants, sans la mièvrerie qui va avec. Un film sur les enfants, mais sans les complaisances d’usage sur l’innocence enfantine. Quelque chose de buissonnier dans le ton, de chahuteur dans la narration et dans le rythme, mais sans que l’on sombre pour autant dans les facilités de l’esprit potache. Imaginer Les Quatre Cents Coups dans la France de M. Hortefeux. Ou Les Mistons à l’heure où le coq gaulois, plus que jamais dressé sur ses ergots, s’effraie d’autres enfants dont le seul tort est d’être un peu plus basanés. Ou encore des Tricheurs pour temps sombres où l’étranger devient l’ennemi et où il faut parfois se mettre hors la loi pour être en règle avec la justice. Un film fort. Inattendu. Et qui fait souffler un bon vent de révolte et de fraîcheur dans une époque où, partout, menacent la bêtise, la lâcheté ou, tout simplement, l’esprit de sérieux des gallinacés de l’idéologie française.


Autres contenus sur ces thèmes