Une information comme ça, en passant, au détour d’un programme de la chaîne américaine CBS annonçant qu’Al-Qaeda préparerait des attentats en Europe pendant la période des vacances de Noël. Et une interview, dans Le Figaro, qui ne fait pas non plus grand bruit et où Ali Belhadj, l’idéologue tueur de l’ex-FIS algérien, est encore plus précis puisqu’il nous annonce, lui, que la France, malgré sa politique antiaméricaine, pro-arabe, etc., malgré son indécrottable certitude d’avoir pris, une fois pour toutes, le parti des fameux « Français innocents » chers à un Premier ministre d’il y a vingt ans, ne serait pas épargnée et serait peut-être même, allez savoir, en haut de la liste noire… Que penser de cette annonce ? La nouvelle, même s’il ne faut pas la dramatiser, n’est-elle pas au moins aussi importante que la grande réunion des présidents de région socialistes ou que les guerres de clan au sein de l’UMP ? Et est-ce Tony Blair qui a raison lorsqu’il confie, en guise de testament politique, que la menace terroriste durera, dans les démocraties, autant que nos vies ?

Le Liban. L’assassinat, en plein Beyrouth, à bout portant, du jeune ministre Pierre Gemayel. Les regards qui, comme pour la mort de Rafic Hariri et comme pour celle, un an plus tard, des journalistes laïques, démocrates et antisyriens Samir Kassir et Gebrane Tuéni, se tournent tout naturellement vers Damas et, donc, vers le Hezbollah. Les ministres restants qui vivent la peur au ventre, car il suffirait, et ils le savent, que l’on en tue encore un, juste un, pour que le gouvernement n’ait plus le quorum nécessaire à la ratification du traité portant constitution du tribunal spécial chargé de l’affaire Hariri. Et le pays du Cèdre qui, exsangue, sans forces, otage d’affrontements politiques, de luttes à mort, qui le dépassent, menace de replonger dans le cauchemar de la lutte de tous contre tous. Message, là aussi, aux fauteurs de guerre ? Nature et ampleur de notre solidarité avec ce pays ami, parent, souffrant ? Notre camp, en un mot, dans le conflit mondial déclenché par l’Internationale terroriste et dont il est, pour son malheur, devenu l’un des théâtres d’élection ?

L’Irak. Les 200 morts, jeudi dernier, de Sadr City, le quartier chiite de Bagdad. Un record, nous dit-on. L’attentat le plus meurtrier depuis mai 2003 et la fin de la guerre proprement dite. Sauf qu’il y a cette autre statistique qui tombe au même instant et qui parle de 130 morts par jour, en moyenne, pendant le mois écoulé. Cent trente morts, oui… On a bien lu : plus de quatre fois le fameux drame de Cana, par exemple, attribué à Tsahal, au Liban justement, l’été dernier, et qui souleva la tempête que l’on sait… Plus de quatre fois par jour, tous les jours, à l’arme blanche, à la voiture piégée, parfois à la porte des mosquées, l’équivalent de ce Cana qui, parce qu’Israël y fut mêlé, est resté dans les mémoires… Et, là encore, l’indifférence. Et, là non plus, pas un mot, ni dans les programmes, ni dans les débats, de cette précampagne électorale. Comme s’il suffisait de se gargariser du fait que la France, elle au moins, a vu juste depuis le début en refusant la guerre de Bush contre Saddam. Comme si la patrie que nous sommes du nation building démocratique n’avait pas quelque chose à dire, aussi, de la façon dont on peut, dont on doit, reconstruire l’Irak d’après Saddam.

Et puis l’Iran enfin. Cet Iran terrifiant, où règne un gang de néonazis, et dont le discours, ces jours-ci, revient de plus en plus à dire : « oubliez l’Irak, le Liban, Al-Qaeda… ou plutôt non, ne les oubliez pas tout à fait, mais laissez-nous nous en soucier pour vous… laissez-nous nous en charger à votre place… laissez-nous, en échange d’un peu de considération et d’une certaine indulgence à l’endroit de nos projets nucléaires, faire la police et la paix dans cette région qui est la nôtre et dont nous avons les clés… ». Un nombre croissant d’Américains, je le sais, sont sensibles à l’argument. De plus en plus de sénateurs, congressmen, voire membres de la très étrange commission Baker, semblent prêts à ce marchandage où l’on troquerait, donc, la « paix iranienne » au Liban et en Irak contre l’impunité de Téhéran dans son affaire d’armes atomiques. Que faut-il en penser là encore ? Sommes-nous prêts à ce Munich persan, sous couleurs américaines ? Ou restons-nous sur la position de fermeté de l’« Appel aux dirigeants européens » lancé, fin septembre dernier, par un groupe d’intellectuels français et qui mettait en garde contre tous les marchés de dupes proposés par le guide suprême Khamenei et son valet Ahmadinejad ?

Voilà quelques-unes des questions sur lesquelles on aimerait entendre Mme Royal, M. Sarkozy et les autres. Voilà le type de débats sur lesquels on voudrait que se joue, également, la bataille présidentielle qui s’annonce et qui, pour le moment, a l’air de passionner les Français. Sauf à se résigner à sa frivolité définitive. Et sauf à se laisser gagner par cette forme très particulière de vertige qu’est l’autisme, le provincialisme, d’un pays shooté à l’enfermement nombrilique et se fantasmant à l’abri des grandes fureurs planétaires. Jadis, on disait : la France seule. Aujourd’hui : l’antimondialisme. Mais gare, dans tous les cas, au réveil. Gare aux faits qui, non contents d’être têtus, ont parfois tendance à se venger. L’illusion n’a pas d’avenir.


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