Sortie de mon film, Slava Ukraini, aux États-Unis.

Tournée de lancement à Los Angeles, Washington, Chicago, Philadelphie, New York.

Et avant-première aux Nations unies où je pose la question qui brûle les lèvres de ceux que révolte l’impunité des crimes commis en Ukraine : ce fameux droit de veto qui permet à la Fédération de Russie de bloquer toute résolution la condamnant et, donc, de paralyser l’institution.

Cette monstrueuse absurdité remonte, dit-on toujours, aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale et à la décision d’offrir aux cinq vainqueurs, URSS comprise, un statut de membre permanent, avec droit de veto afférent, au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, nouvellement créée.

Sauf qu’il y a un autre événement, dont on parle plus rarement, et qui est moins glorieux.

Nous sommes le 21 décembre 1991.

L’URSS est sur le point d’être officiellement dissoute.

Onze des quinze États issus de cette dissolution, et désormais souverains, se réunissent à Alma-Ata, au Kazakhstan.

Ils sont là pour se partager les dépouilles de l’entité défunte et savoir, en particulier, auquel d’entre eux ira le précieux siège de membre permanent.

Et la réponse vient, après quelques heures de débat, sous la forme d’une simple lettre adressée au secrétaire général des Nations unies par Boris Eltsine et qui dit en substance : « Nous, nations issues de l’ancien empire soviétique et désormais constituées en Communauté d’États indépendants (CEI) avons délibéré et j’ai l’honneur de vous notifier que c’est la Fédération de Russie qui succède à l’URSS, reprend son siège aux Nations unies et se verra désormais reconnaître les droits qui y étaient attachés. »

Le récipiendaire de la notification aurait pu observer que rien, dans la Charte, ne permet à un groupe d’États de disposer ainsi d’un siège de membre permanent et d’en faire l’objet d’on ne sait quel marchandage.

On aurait pu objecter que la notion même d’État successeur (dans les « Alma-Ata Papers » : « successor state ») n’apparaît dans aucun texte et n’a aucune valeur juridique.

On aurait pu noter que, d’un point de vue légal, aucun des onze États qui viennent de prendre, en catimini, cette décision unilatérale, n’est encore, à cette date, formellement membre de l’ONU et que l’URSS, je le répète, ne sera officiellement dissoute que plusieurs jours plus tard.

On aurait dû, devant la nouveauté de la situation et, surtout, l’énormité des enjeux (fut aussi décidé, ce jour-là, bien avant le mémorandum de Budapest, la mise sous commandement russe des armes nucléaires disséminées sur les territoires ex-soviétiques) exiger que soit au moins organisé un débat à l’Assemblée générale.

Mais non.

Rien de cela ne fut fait. On entérina sans discussion la notification eltsinienne et la captation d’héritage qu’elle impliquait.

C’est par des articles de presse que nombre de pays membres apprirent la nouvelle de ce tour de passe-passe.

Mais le résultat de cette étrange séquence, c’est qu’on a beau chercher, fouiller dans les archives : ce statut de membre permanent octroyé à la Russie et le droit de veto qui y est attaché, il n’existe aucun texte qui les fonde ; ils n’ont ni base légale ni légitimité d’aucune sorte ; et la Fédération de Russie terrorise le monde depuis trente ans avec un droit dont elle s’est indûment emparée.

D’où l’idée que j’ai brièvement évoquée, ce soir-là, depuis la tribune, aux côtés des ambassadeurs de France et d’Ukraine, et que je lance ici.

Que les Nations unies d’aujourd’hui rouvrent le dossier. Qu’elles réexaminent le coup de force originaire sur lequel se sont bâtis l’ordre et le désordre contemporains.

Et que, considérant la constance avec laquelle la Fédération de Russie a, de Boutcha à Marioupol en passant par les déportations d’enfants du Donbass, bafoué les idéaux fondateurs onusiens dont un membre permanent du Conseil de sécurité devrait, plus que tout autre, être le garant, elles révoquent sans regret un droit que Eltsine et Poutine se sont, je le répète, accaparé sans titre.

Qu’adviendra-t-il, alors, du pacte de 1945 et de l’héritage de la « Grande Guerre patriotique » ?

Eh bien, on rappellera encore le droit égal qu’avaient les onze d’Alma-Ata à prétendre à l’héritage de la feue URSS.

On se souviendra que le Premier Front ukrainien où les soldats ukrainiens étaient, comme son nom l’indique, massivement représentés, prit plus que sa part dans cette guerre et que c’est lui qui, par exemple, libéra le camp d’extermination d’Auschwitz.

On observera que, s’il y a un pays où, dans l’espace de l’ancienne URSS, revivent, en ce moment même, les valeurs de l’antinazisme, c’est l’Ukraine de Volodymyr Zelensky.

Et on en conclura que c’est à l’Ukraine que, dans le monde du nouvel après-guerre qui se prépare, en ce moment même, sous nos yeux, pourraient et devraient revenir les droits de la Russie déchue.

Retirer à la Fédération de Russie son siège de membre permanent : le droit le veut.

Transférer ce droit à l’Ukraine : la mémoire le permet ; la morale le souhaite ; et un grand débat entre nations souveraines et unies pourrait le décider.


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