Fabius sur Cuba dans Le Nouvel Observateur de la semaine dernière. Des évidences, bien sûr. Des propos – « il faut que cesse l’étrange mansuétude envers Castro… » ; il est « faux » que critiquer Cuba fasse « le jeu de l’impérialisme américain » – qui, dans les années 70, quand, avec Glucksmann, Clavel, Jambet, d’autres, nous les lancions dans le débat public, semblaient des provocations et qui, aujourd’hui, trente ans après, sonnent comme les paroles gelées de Rabelais : ces mots à la fois très anciens et très familiers dont Pantagruel dit, comme Dante pour les âmes des morts, qu’ils dorment dans les limbes en attendant que vienne l’heure d’une paresseuse résurrection. Mais nous avons eu tant d’occasions, ces dernières semaines, d’assister aux poussées démagogiques d’un PS en mal d’identité ; le spectacle est si navrant de ce premier secrétaire qui semble avoir pour unique souci de ne se couper à aucun prix de son aile antimondialiste et qui, d’Évian à la loi sur les retraites ou, aujourd’hui, à la solidarité sans critique avec José Bové, ne perd aucune occasion d’aller à la chasse aux voix d’une ultragauche qui n’a, elle, comme il se doit, que souverain mépris pour les sociaux-démocrates (Bové dont on peut condamner – c’est mon cas – l’incarcération à grand spectacle, mais sans feindre d’adhérer pour autant à sa vision du monde et à sa cause) ; bref, il règne un tel climat, à gauche, de régression et d’infantilisme, l’esprit du populisme semble y faire, ces temps-ci, de si constants progrès que ces mots tout simples, ces lieux communs, cette façon d’écrire, tranquillement, que « Fidel est un dictateur » et que « les dictatures ne sont ni de droite ni de gauche mais infâmes », semblent à nouveau libérateurs. Ce n’est qu’un article, bien sûr. Et jamais un article n’a fait un printemps politique. Et pourtant… Qui sait ? L’histoire des sensibilités et des idées ne nous a-t-elle pas réservé, parfois, des surprises de ce genre ? Il flotte sur ces lignes « cubaines » comme un parfum de refondation.

Il n’y a – ou il n’y aura très bientôt – plus d’affaire Baudis. Reste, en revanche, l’honneur d’un homme probablement sali à jamais. Reste sa douleur, celle de ses proches, sa rage que j’imagine, son désespoir que rien n’apaisera plus. Reste le spectacle terrifiant qui nous fut donné pendant trois semaines de ce lynchage médiatique, de ce café du commerce permanent, de cette instruction menée, non plus même aux marches des palais de justice, mais dans la rue, les dîners en ville, les journaux, les télévisions. Reste ce magazine entreprenant, l’autre semaine, sans rire ni rougir, et comme s’il était devenu tout naturel qu’un organe de presse fasse, à leur place, le travail des juges et des policiers, de demander à l’ex-maire de Toulouse communication – sic – de ses agendas pour vérifier qu’il se trouvait bien, tel soir, avec sa femme à Paris. Reste le spectacle accablant d’une classe politique tétanisée qui, à de très rares exceptions près, et quand elle n’alimenta pas, elle-même, la machine à ragoter et humilier, se mit prudemment aux abris de peur d’être compromise, salie, contaminée, emportée – ah ! l’ignominie de ce « pas de fumée sans feu » qui aura servi d’alibi, comme d’habitude, aux bavards et aux couards. Le mécanisme est connu. C’est celui qu’avait décrit Edgar Morin, il y a trente ans, dans sa Rumeur d’Orléans. C’est celui que l’on a vu opérer au moment de l’affaire de la Vologne, dite aussi affaire Grégory. D’où vient que cela marche encore ? Comment avons-nous pu, comme si de rien n’était, et comme au premier jour, tomber à nouveau dans le piège ? Par quel mystère tout un système médiatico-institutionnel peut-il ainsi s’emballer, sans que se déclenchent les « avertisseurs d’incendie » ? Je ne peux que redire, pour ma part, ce que je disais, ici même, dès le tout premier jour, en soutien à cet homme que je ne connais pas mais dont le sort me touche infiniment : la rumeur, c’est comme les kamikazes – c’est la seule arme contre laquelle il n’y a, une fois qu’elle est lancée, aucune espèce de riposte possible.

Publication du second numéro de ces Cahiers d’études lévinassiennes que nous tentons, avec Benny Lévy, de faire vivre depuis Jérusalem et où l’on trouvera, outre l’essentiel du séminaire tenu là, à Jérusalem, sur Schelling et Rosenzweig, par l’ancien secrétaire de Sartre passé, selon la formule consacrée, « de Mao à Moïse », une série de textes sur le monothéisme, un débat avec Finkielkraut sur la laïcité, des textes de Catherine Chalier, Salomon Malka ou Jean Halpérin, et un beau texte de Lévinas lui-même, daté de 1963, et intitulé « Judaïsme et altruisme ». Lévinas, l’auteur de Difficile liberté… Celui de De Dieu qui vient à l’idée… Le nom qui, une fois de plus, apparaît comme un pont entre les rives des judaïsmes d’aujourd’hui… Le religieux et le laïque. Le sionisme et le diasporique. Israël au Proche-Orient et Israël en Europe. Sans parler de l’éternelle question que, seul, il permet, sinon de trancher, du moins de poser, d’Athènes et Jérusalem, du parler grec et juif, de la parole biblique dans son rapport au logos. Urgence de Lévinas.


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