L’antisémitisme nouveau est arrivé. Cela fait longtemps que nous étions quelques-uns à l’annoncer.

Mais, cette fois, il est là, et bien là, avec ses cellules combattantes, ses figures emblématiques, ses petites frappes et ses caïds passés sans transition du gangstérisme au djihad, ses idéologues, ses prêcheurs.

Face à ce phénomène, face à l’image révoltante de synagogues, de magasins kasher, d’écoles juives, qui, non seulement autour de Paris, mais dans toute l’Europe, prennent des allures de camp retranché, la seule question qui vaille est désormais : que faire ?

Il faut donner à la chose son nom. Déjà, et pour commencer, son nom. Car il est vrai, naturellement, que se mêle à cette haine antijuive une haine de la France, plus une haine de la République, plus une haine de l’Occident. Mais il n’en est pas moins vrai que ce sont des enfants juifs, pas « occidentaux » en général, qui sont molestés dans les écoles. Ce sont les lieux de culte juifs, pas catholiques, ou protestants, ou musulmans, qui sont mis sous surveillance. Et, quand on démantèle une cellule à Torcy, la liste des cibles que l’on découvre sont des cibles juives et seulement juives. Il faut arrêter, autrement dit, avec le prêchi-prêcha sur la haine-des-juifs-qui-est-en-réalité-une-haine-de-la-France. Il ne faut plus commettre l’erreur de ceux qui, au moment du martyre d’Ilan Halimi, multiplièrent les contorsions sémantiques avant de décider si, oui ou non, l’affaire relevait de l’antisémitisme. Bien nommer les choses, disait Camus, c’est réparer un peu le monde. C’est pourquoi la première tâche, c’est cet acte de nomination, de prononciation du mot : l’Europe est le théâtre, que cela plaise ou non, d’une vague antisémite d’un type nouveau.

Quel type ? Et en quoi nouveau ? Cela aussi, il faut le dire. Et il faut, pour le combattre, le dire avec exactitude. Le djihadisme, bien sûr. L’islamisme, évidemment. Mais aussi, venant alimenter cet islamisme, le vieux thème du « juif riche » (Ilan Halimi). Mais encore, venant en renfort, l’idéologie conspirationniste du juif maître du monde (voir tels ou tels sites internet, qui devraient tomber sous le coup de la loi – je sais de quoi je parle). Bref, un retour des grands motifs de l’antisémitisme français traditionnel, voire de ce refoulé nazi qui n’épargna, naguère, pas plus le monde arabe que l’Europe mais que le premier n’a, contrairement à la seconde, jamais vraiment pris la peine de regarder en face et de traiter. Mohamed Merah plus Édouard Drumont. Les Frères musulmans plus Les Protocoles des sages de Sion. Une hérésie musulmane plus la mémoire sombre du continent. Telle est la réalité. Tel est le cocktail explosif qui peut, si l’on n’ouvre pas les yeux, donner au délire une force décuplée.

D’où l’impérieuse nécessité de refuser, face à la menace, toute forme de culture de l’excuse. D’abord parce que les Merah et autres Jérémie Louis-Sidney n’ont pas, et c’est peu dire, le profil type de ces Misérables façon Zola qui font pleurer les sociologues. Mais ensuite parce qu’aucune « enfance difficile », aucun « malaise existentiel », aucun « divorce précoce des parents », ces ponts aux ânes de la psychosociologie, ne justifie que l’on attaque un magasin à la grenade, que l’on assassine une fillette d’une balle en pleine tête, bref, que l’on redonne droit de cité à la persécution meurtrière du nom juif. Que la République ait abandonné ses banlieues, c’est vrai et c’est une honte. Que la prison soit devenue un lieu criminogène, c’est un problème et il faut l’affronter. Mais exciper de ce problème pour trouver au nouvel antisémitisme des circonstances atténuantes, c’est ajouter l’ignominie à l’ignominie et, peut-être, le crime au crime. Sans même parler de cette autre niaiserie – qui vaut, elle aussi, atténuation du crime – sur l’« exportation » du problème israélo-palestinien à Paris…

Pis, il y a le discours, non plus des sociologues, mais des responsables politiques qui soufflent, eux aussi, sur les braises et devraient susciter la même condamnation unanime. Je passe – car qui s’en étonnera ? – sur le cas de Mme Le Pen qui, lorsqu’elle met sur le même plan le port de la kippa et l’enfermement sous un voile intégral, disculpe par avance le nervi tenté de se cogner un enfant juif. Mais quid du député communiste européen et directeur de L’Humanité Patrick Le Hyaric ? Quid de ce discours de clôture de la dernière Fête de L’Huma où il qualifie le pseudo-film islamophobe qui a provoqué l’ire d’une partie du monde musulman de « film réalisé par un intégriste israélien » ? Ne désigne-t-il pas, lui aussi, ce faisant, des cibles à la vindicte ? Ne participe-t-il pas, lui aussi, en relayant cette information qu’il sait fausse, puisque l’auteur du brûlot était un copte égyptien, de la stigmatisation qui permet à des manifestants en colère de venir crier « mort aux juifs » devant une ambassade à Paris ? Lutter contre l’antisémitisme nouveau, c’est exiger des excuses du député Le Hyaric et, au-delà de lui, du Parti communiste français.

Un dernier mot. Le Front national est une chose. Les dérapages du PC en sont une autre. Mais que la responsabilité soit partagée ne doit pas exonérer la communauté musulmane de sa part de lucidité. Et le fait que l’immense majorité de ses fidèles ne soient pour rien dans les agissements d’une minorité d’extrémistes fascisants devrait rendre d’autant plus facile une condamnation sans appel. On attend donc la déclaration solennelle des imams réprouvant, toutes obédiences confondues, cette vague antisémite. On attend la grande manifestation où l’on verrait les républicains de confession musulmane défiler, avec les autres, derrière la banderole « Halte à la haine des juifs ». Eux aussi doivent prendre leurs responsabilités. Eux aussi, eux les premiers, se doivent d’activer, ou inventer, leurs contrefeux antifascistes. Le vivre-ensemble est à ce prix. La barbarie est l’alternative.


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