Le Pen battu dans les urnes après l’avoir été dans la rue. Jacques Chirac réélu par l’ensemble du peuple français, gauche et droite confondues, dans le même sursaut citoyen. Tout est bien qui commence bien. Car le combat n’est pas terminé et il reste à remporter, maintenant, la vraie bataille du terrain – il reste à mener et gagner, à partir de ce lundi matin, et jusqu’aux 9 et 16 juin, 577 batailles de proximité où se jouera, pour de bon, la défaite, le reflux et, peut-être, la marginalisation de l’extrême droite en France.
Chacun sait comment c’est sur le terrain que l’on a fait, dans le passé, le lit du lepénisme.
Chacun sait comment des apprentis sorciers ont instrumentalisé, à gauche, François Mitterrand en tête, la capacité de nuisance d’un Front national dans l’enfance.
Chacun sait comment d’autres mauvais démocrates ont banalisé, à droite, les thèses d’un parti dont ils savaient déjà qu’il était l’expression contemporaine d’un vieux fonds fasciste refoulé par le gaullisme.
Et chacun se souvient, notamment, de cette droite de courtoisie, de ces Charles Millon, de ces Jacques Blanc, de ces Jean-Pierre Soisson – chacun se souvient de tous ces faux libéraux qui ont pactisé avec le pire ; qui ont cru ou voulu croire à l’existence, entre la droite et l’extrême droite, de valeurs ou de principes communs ; et qui ont jugé surtout que Paris (c’est-à-dire, dans leur cas, Auxerre, Lyon, le Languedoc) valait bien une messe noire avec le diable lepéniste.
Eh bien, c’est avec tout cela qu’il faut rompre à nouveau, dans la campagne législative qui commence, si nous ne voulons pas que le sursaut des quinze derniers jours ne soit qu’un entracte entre deux séismes.
C’est à cette culture de la connivence et de la combinaison que doivent tourner le dos, s’ils sont conséquents avec eux-mêmes, tous ceux qui, depuis le 21 avril, affirment haut et fort leur foi en la République.
Et il n’y a, pour cela, qu’une voie : que la droite et la gauche républicaine réaffirment, sans tarder, leur volonté de ne plus jouer avec le feu ; qu’elles prennent l’engagement solennel, maintes fois pris par le président Chirac et auquel il n’a, pour sa part, jamais failli, de refuser les cuisines électorales de second tour dont l’expérience a prouvé qu’elles font le jeu, chaque fois, des adversaires de la démocratie ; bref, qu’elles fassent le serment, partout où leurs candidats seront en situation de triangulaire avec un représentant du Front national, partout où ce Front antinational sera en mesure de tirer les marrons du feu de leur jusqu’au-boutisme, de se désister réciproquement en faveur du républicain le mieux placé.
Ce serment républicain n’est évidemment pas un front républicain.
Il n’empêchera en aucune façon le débat, le dissentiment démocratiques, de s’exprimer.
Il n’exigera d’aucun des candidats et des partis l’abandon de son identité, la renonciation à ses choix, la mise au rancart de la bonne querelle des programmes et des idées.
Et je sais bien surtout que le diable est, aussi, dans les détails, c’est-à-dire dans les situations particulières et que ce pacte devra, comme tous les pactes bien noués, prévoir les cas litigieux ou incertains, les circonscriptions où il sera légitime d’additionner les voix des diverses gauches ou celles des diverses droites, les exceptions, les éventuelles instances d’arbitrage.
Mais, que ce pacte soit, il le faut absolument.
Il faut, sur le principe, que les choses soient nettement dites.
Il faut tout faire, en clair, pour empêcher que le Front national, battu, le 5 mai, par les peuples de droite et de gauche confondus, ne se retrouve, au troisième tour, en position d’arbitre de la vie politique locale, donc nationale.
Et il n’y a, pour cela, d’autre formule qu’un acte refondateur par lequel tous les candidats affirmeront, devant leurs électeurs et devant le peuple français : oui, bien sûr, il est normal que les apôtres de la haine et de la guerre entre Français s’expriment ; oui, en démocratie, il y a liberté pour les ennemis de la liberté ; mais tout républicain, de droite comme de gauche, a le devoir de garder la République avant de faire campagne pour son parti ou son camp.
Voter pour la droite quand on est de gauche : c’est difficile ; c’est briser avec deux siècles de tradition, de fidélités, de réflexes ; mais c’est ce qu’une majorité d’électeurs de gauche a fait, hier, dimanche, pour la première fois depuis longtemps.
Voter pour la gauche quand on est de droite : ce sera difficile ; ce sera briser, aussi, avec deux siècles de tradition idéologique et politique ; mais c’est ce qui sera demandé aux partisans de Nicolas Sarkozy, d’Alain Juppé, de François Bayrou, d’Alain Madelin, s’ils entendent continuer, jusqu’au bout, de faire front contre le Front.
A cette condition, le sursaut de ce dimanche n’aura pas été une extase sans lendemain – et il rendra, en France, sa dignité à la politique.
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