Vingtième anniversaire de la mort de Simone de Beauvoir. Et, bizarrement, rien. Non, rien, ou à peu près rien, pour commémorer l’écrivain, la philosophe, la très grande intellectuelle. Rien dans les journaux, les radios, les télés – si prompts, d’habitude, à faire musée de tout –, sur l’auteur, notamment, de ce livre capital, séminal, véritablement révolutionnaire, que fut Le Deuxième Sexe. Alors, ici, hommage. Et, à l’appui de l’hommage, sept noms, juste sept noms, cueillis au fil de la semaine écoulée : témoins du beau voir de Simone de Beauvoir ; preuves, par la réalité, de l’actualité de son grand œuvre.

Clinton ; Hilary Clinton ; l’honneur de l’Amérique et celui des démocrates en Amérique ; le personnage dont la moitié du pays rêve qu’il devienne, dans deux ans, président des États-Unis ; et le remarquable orateur qui, là, cette semaine, face au plus exigeant des think tank new-yorkais, a fait la démonstration de ce que pourrait être la politique étrangère de l’autre Amérique. Le Sénateur Clinton ? Elle préside la commission, non du tricot, mais de la Défense et vient, une fois de plus, de le rappeler aux imbéciles et aux machistes.

Rice ; Condoleezza Rice ; ou, mieux, « con dolcezza », avec douceur, ce nom musical, mozartien, pour l’autre dame de fer de la politique américaine : rivale de la première, certes ; peut-être, demain, son adversaire ; mais celle qui, pour le moment, mène la partie de poker politique la plus difficile, la plus risquée, du nouveau siècle : il était clair, oui, cette semaine, que, si le monde a une chance, une toute petite chance, d’éviter la catastrophe dans le dossier nucléaire iranien et de sortir, par conséquent, de l’impasse c’est à cette femme qu’il le devra plus qu’à Messieurs Bush, Cheney, Rumsfeld – ces rouleurs de mécaniques aux idées courtes, ces tacticiens sans stratégie ni vrai caractère.

Michelle Bachelet, la Chilienne, héroïne de la success story dont notre président (Chirac) et nos présidentiables (Royal) ne se lassent pas de scruter la secrète alchimie et qui, ces jours-ci, face à une contestation étudiante et lycéenne en passe de bloquer sa capitale et face, aussi, à la divine surprise qu’est, pour l’économie de son pays, la hausse mondiale des prix du cuivre, a fait une nouvelle fois la preuve de son sens politique : oui, probablement, à la gratuité des transports publics qui est la revendication no 1 des étudiants ; et oui donc, comme eût dit Brecht, à cet autre « achat du cuivre » devenu le ressort, non du Tragique, mais du Politique et offrant, ce faisant, une sorte d’alternative au national populisme des Chavez, Morales et autres Castro.

Royal, bien sûr ; pas la Royal rêvant, à voix haute, de militariser les banlieues et de criminaliser les familles de délinquants – celle-là n’est pas aimable et doit être contestée, fermement, sans états d’âme; mais la Royal qui ouvre le débat ; la Royal qui brise la langue de bois et oblige éléphants et éléphanteaux socialistes à sortir eux-mêmes du bois en prenant clairement position sur l’un des sujets les plus tabou du moment ; la Royal qui, sur un autre sujet, celui de ces fameuses 35 heures qui ont eu pour effet, nous dit-elle, d’affaiblir les salariés les plus démunis, les plus faibles et donc, souvent, les femmes, vient ajouter sa voix à celle des modernistes du PS tendance Strauss-Kahn – enfin !

Merkel ; Angela Merkel ; « cette femme » comme dit le poutinien et recordman mondial de la corruption en démocratie, Gerhardt Schroeder ; cette « bonne femme » à qui il enrageait, au moment de sa défaite, d’avoir à laisser les clefs de la maison Allemagne ; sauf qu’elle réussit, cette femme ; elle bénéficie, cette spécialiste de mécanique quantique (les vraies particules élémentaires ce n’est pas Houellebecq c’est elle), d’une popularité à faire pâlir d’envie, non seulement lui, son prédécesseur, mais tous les chefs de gouvernement; et elle est en train, de surcroît, de redresser les comptes d’une économie qui retrouve, grâce à elle, le rôle moteur qu’elle a toujours eu, et qu’elle doit impérativement avoir, dans la physique européenne.

Et puis « Ni Putes ni soumises », ces anti Merkel ou ces femmes qui, en tout cas, posent clairement la question de la prostitution de masse dont l’Allemagne merkélienne (ce n’est pas la faute de Merkel, mais c’est tout comme) sera, dans quelques jours, la vitrine : usine des corps ; esclavage ; nouvelle traite des blanches comme on disait jadis, au temps d’Edgar Morin et de sa « rumeur d’Orléans » – sauf qu’à l’époque c’était un mensonge, et même une infamie, alors que c’est, aujourd’hui, en Allemagne, en train de devenir réalité ; et des femmes donc, les amies de Fadela Amara, pour dénoncer ces maquereaux albanais, russes, kosovars, qui sont l’autre visage de la libre circulation des personnes sur le continent.

Sans parler enfin de Aung San Suu Kyi, l’admirable Aung San Suu Kyi, dont on apprend que la junte birmane prolonge la détention sans jugement : prix Nobel ; droits de l’homme ; combat, dans ce nouveau pays du mensonge déconcertant, pour la démocratie, le droit, la liberté de la presse, la vérité ; et là encore, une femme ; et, là encore, une fille de Simone de Beauvoir.


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