Je continue de penser que la suppression de la publicité, sans augmentation de la redevance, était une erreur. Et ce pour quatre raisons que, les jeux étant apparemment faits, je ne rappellerai que pour mémoire.
1. Le financement alternatif, taxant le chiffre d’affaires publicitaire des chaînes privées ainsi que les fournisseurs d’accès à Internet, n’offre pas les garanties de pérennité qu’exige un service public.
2. La loi n’était pas encore votée qu’un amendement réduisait déjà de moitié les deux taxes et le faisait, surtout, sans que fût explicitement opposée à l’État l’obligation de « compensation financière intégrale » réclamée par certains membres de la Commission.
3. Ces taxes ne pouvant, à l’inverse de la redevance, être directement versées dans les caisses de France Télévisions devront transiter par le budget général de la nation qui les restituera à son rythme, au rythme de ses déficits et selon le bon plaisir de responsables dont on ne peut, hélas, exclure qu’ils usent de ce pouvoir nouveau.
4. L’on ose à peine imaginer, enfin, l’impasse où l’on serait si, en janvier prochain, une fois la publicité disparue des écrans, les taxes en question se voyaient retoquées, soit par la Commission européenne (au nom du principe de liberté de la prestation de services), soit par le Conseil constitutionnel (au nom d’un droit fiscal pouvant trouver à redire à ce transfert de ressources depuis des entreprises dont la vocation n’est pas de faire de la télévision) – hypothèses que nos apprentis sorciers semblent, dans leur étrange hâte, ne pas avoir sérieusement envisagées…
Reste un point qui est, lui, toujours en attente du vote du Sénat et dont je veux dire, une dernière fois, pourquoi il est inacceptable : la nomination et révocation, en conseil des ministres, du président de France Télévisions.
Le mot, déjà, de révocation.
Ce mot terrible qui assimilerait son statut à celui d’un domestique ou d’un directeur de cabinet.
La menace que cette perspective même de révocation pouvant survenir à tout instant (car c’est bien ce que l’on a signifié en renvoyant dans les cordes ceux qui souhaitaient voir inscrite dans le texte la notion, au moins, de « faute lourde ») ferait peser sur des équipes dont le bien le plus précieux était ce mixte de durée, de stabilité, de sérénité, qui deviendrait aussitôt, et structurellement, caduc.
Le retour au temps de l’ORTF et des directeurs de l’information prenant leurs ordres chez le ministre.
Bref, un grand bond en arrière qui – fait suffisamment rare dans l’histoire des démocraties pour qu’il ne soit pas exclu, là non plus, que les juges du Conseil constitutionnel s’en inquiètent – liquide un droit acquis, nous prive de ce bien rare qu’est un embryon de contre-pouvoir et nous aligne, ce faisant, sur le seul pays européen à fonctionner ainsi : l’Italie de Berlusconi.
Au moins les choses seront-elles claires, répètent, avec une intarissable jubilation, les thuriféraires du sarkozysme cathodique.
Au moins sortira-t-on de l’hypocrisie qui faisait croire à l’indépendance d’une autorité de régulation dont chacun sait qu’elle était à notre botte.
L’argument est insultant pour ceux qui, de la Haute Autorité de Michèle Cotta au CSA de Bourges ou Baudis, ont été un peu mieux que des pantins et ont tenté de remplir leur mission avec probité.
Mais il est surtout choquant par l’idée que l’on se fait du fonctionnement d’une société : quand une institution marche mal, faut-il la détruire ou l’amender ? faut-il dire « pas d’institution du tout » ou « une meilleure institution » ? faut-il, sous prétexte que d’aucuns se conduisent comme des larbins, institutionnaliser le larbinat ? fallait-il, en un mot, que le vice se prévalût de ses propres turpitudes ? et cette manière d’arguer des failles d’un système pour le remplacer par un système ouvertement délinquant, cette façon de se gausser de la faillibilité des hommes pour décréter nul et non avenu l’effort lent, patient, parfois ingrat, que l’on fait pour y remédier et qui est l’essence de la démocratie, ne rappellent-elles pas cette « politique du pire » , venue de l’autre bord, et qui consistait, quand un homme « tombait le masque », quand un État révélait son « vrai visage », à ânonner le même : « au moins les choses sont claires, mieux vaut un franc salopard qu’un fasciste déguisé » ?
La France avait le choix entre plusieurs solutions pour, non pas casser le système, mais le faire avancer.
Il y avait le cas de l’Espagne, où les dirigeants des chaînes sont nommés par le Parlement.
Celui de la ZDF allemande, qui les voit nommés par un collège issu de la société civile.
Il y avait le BBC Trust, modèle d’indépendance. Elle a choisi la machine à remonter le temps.
Elle a opté, bien dans l’esprit de l’époque, pour le cynisme ricaneur de la toute-puissance assumée.
Puissent les sénateurs prendre la mesure de cette inédite régression.
Puisse l’opinion se réveiller pour de bon et dire non à une mise sous tutelle dont on avait oublié le mauvais parfum.
En dépend cette capacité à penser par soi-même, librement, sans tutelle justement, dont nous savons qu’elle est l’esprit même des Lumières et, donc, de la démocratie.
J’espère.
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