Guyotat (et Grau)
Humains par hasard… C’est un bien beau titre qu’a donné Pierre Guyotat à ses entretiens avec Donatien Grau parus, ces jours-ci, chez Gallimard. Écho aux non-humains des Joyeux Animaux de la misère ? Passion de la logique et de la raison poussée, soudain, si loin que rien n’explique plus qu’il y ait de l’humain plutôt que rien ? Son goût pour la sainteté et la miséricorde, ces passions presque inhumaines ? Sa nostalgie d’une expérience intérieure que la confusion des temps (présent, futur, passé…) rend de plus en plus improbable ? Ou encore cette anecdote étrange, et qui en dit si long, sur Hitler s’isolant avec Albert Speer pour, la conférence de Wannsee s’achevant, lui souffler : « Voilà, c’est fini, tous les ponts sont coupés, nous sommes sortis du rang des humains » ? Tout cela à la fois, sans doute. Plus cette page étrange où il annonce l’éclatement prochain de la terre réduite, à la suite d’on ne sait quel accident, à une traînée de poussière. Et cette autre, belle, où il commente notre installation dans un monde que la disparition des torches, des cierges et des bougies a transformé en un théâtre où les choses auraient définitivement perdu leurs ombres.
Sollers (et Nouchi)
Saviez-vous que Heidegger avait demandé que l’on récite des poèmes de Hölderlin sur son cercueil ? Que nul, selon Baudelaire, n’est plus catholique que le diable ? Qu’il a fallu attendre septembre 1936 pour qu’un groupe d’anarchistes espagnols retrouve, à Ibiza, en pleine guerre avec les franquistes, l’assassin de Jaurès, Raoul Villain, et, vingt-deux ans après les faits, le juge ? Pourquoi faut-il savoir lire pour savoir écrire et savoir vivre pour savoir lire ? D’où vient que tant de nos contemporains, faute de rien vouloir, veuillent le rien ? Qu’est-ce que le Captagon, cette drogue popularisée par Daech et consommée, en secret, par certains écrivains ? Que veut dire Rimbaud quand il s’écrie : « Voici le temps des Assassins » ? Et quel intérêt l’islam a-t-il à douter de la crucifixion de Jésus ? Ces questions et informations figurent, avec d’autres, dans une seconde conversation, celle de Philippe Sollers avec Franck Nouchi, qui, hasard des calendriers, paraît au même moment et fait écho à la première. Même génération. Énergie également intacte et juvénilité inentamée. Et le souvenir, tout à coup si précis, de ce moment de notre jeunesse où Sollers, donc, avec Michel Leiris et Roland Barthes, préfaçait Eden Eden Eden.
Primaire (piège à cons ?)
Les primaires. Et cette invitation faite à la gauche de venir voter à la primaire de la droite et à la droite, demain, de s’inviter dans celle de la gauche. Objections. 1. On voudrait effacer ce qui reste du clivage droite gauche, finir de liquider l’art politique à la française avec, pour parler comme Roger Vailland, ses « beaux masques », ses « drôles de jeu », ses « lois », qu’on ne s’y prendrait pas autrement. 2. Les extrêmes se nourrissant de cette image d’une politique privée de sens où les deux partis (« l’UMPS » de jadis…) échangeraient dans l’allégresse leurs codes, leurs emblèmes et (Vailland, toujours) leurs « mauvais coups », on prend le risque, ce faisant, de nourrir ce qu’il y a de pire dans la politique du pire. 3. On croit à la démocratie représentative ou l’on n’y croit plus. Mais, si l’on y croit encore, si l’on n’est pas tout à fait résigné à voir le Spectaculaire intégré tout emporter de ce qui fit la vie politique de ce pays, alors comment dire aux gens : « Vous avez hérité d’un parti ; vous avez passé cinq années, ou davantage, à militer, vous dévouer, coller des affiches, défendre la ligne de X ou combattre celle de Y ; or voici venu un temps où il revient au parti adverse de prendre le contrôle à distance de votre vieille maison et de choisir à votre place celle ou celui qui en portera bientôt les couleurs » ? Suicidaire… 4. La théorie de l’électeur stratège. Je sais bien que l’idée est d’inviter l’électeur à voir plus loin que le bout de son nez et, en voulant ce qu’il ne veut pas, en appuyant celle ou celui qu’il combattra demain mais dont il pense qu’il sera le meilleur adversaire de celle ou celui qu’il soutiendra, à devenir un acteur hypermalin jouant trois coups d’avance, calculant les effets de son vote et les effets de ces effets. On dira ce que l’on voudra mais cela s’appelle, en bon français, l’art de la ruse et de la manoeuvre. On n’est plus, pour parler encore comme Vailland, avec « Rodrigue » et « Marat » mais chez le cardinal de Bernis. Et je ne suis pas sûr, là non plus, que ce soit une bonne idée. Et j’ai peur, là encore, que l’on transforme le bel esprit des primaires en une prime à la triche, au double jeu, au triple langage. Et je ne vois pas, une fois de plus, ce que la démocratie nouvelle gagne à voir chacun de ses agents s’aligner sur cette pratique de la « combinazione » qui est ce que la politique politicienne à l’ancienne avait de plus misérable et de plus retors. 5. Sans parler de cette fameuse « déclaration sur l’honneur » que sont invités à signer les votants et qui, en la circonstance, engage : primo, à partager les « valeurs de la droite et du centre » et, secundo, à souhaiter l’« alternance ». J’ai bien compris que, pour ceux qui espèrent voir les Français se ruer, toutes tendances confondues, dans les bureaux de vote de ce dimanche, ce serment ne vaut rien et que la démocratie réelle doit ruser avec la démocratie de papier. Mais est-ce ainsi, de nouveau, que l’on rend son crédit à l’acte politique ? Et n’est-on pas en train, pour le coup, d’encourager le mensonge, la parole non tenue, le parjure ? On peut, naturellement, se rire de tout cela. Mais, si ce n’est pas le cas, si l’on persiste à penser qu’un peu de son destin se décide sur cette scène, alors, attention : élection, piège à cons !
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