Il y a là Hafez el-Assad, impeccable de faux chagrin et de piété jouée : tête du vieux chef mafieux de Palerme qui vient s’afficher aux obsèques de l’homme dont il a commandité l’assassinat. Arafat, en uniforme : claquement de talons, inclinaison, re-claquement de talons, la main qui tremble un peu mais qui salue quand même – le dernier chef palestinien laïc ? Le vice-président irakien au coude à coude avec le prince héritier du Koweit. La moitié du gouvernement israélien et l’extrémiste palestinien Hawatmé. Chirac, très raide. Kouchner, très digne, Clinton, parfait dans son nouveau rôle d’âme sensible : « mon ami est au paradis » – et, près de lui, on dirait qu’ils le soutiennent (mais dans quel combat ?), les ex-présidents Bush, Ford et Carter. Eltsine, hagard : il est venu montrer qu’il était vivant mais fait, devant le village planétaire, la preuve qu’il est en train de mourir. Assad encore, surpris par la caméra en longue conversation avec Hassan, le régent félon, déchu par le roi Hussein quelques jours avant sa mort : « attention, semble dire le félon, brisons l’aparté, nous sommes filmés ! » Le côté « clan Kennedy » des fils du roi. La moue d’Abdallah, quand il prête serment sur le Coran : très vite, quelques secondes à peine – « je suis roi, pas de temps à perdre avec des députés ». Pas de femmes, mais un cheval – bonjour la parité ! Un désordre de têtes couronnées, émirs enturbannés, princes de sang, chefs d’État, défilant au son d’une cornemuse, puis, à la fin, d’une trompette – bizarre mélange de mélodie arabe et de rythme occidental : l’image même de ce royaume « métis » ? Ce n’est plus un cimetière, c’est un théâtre. Ce ne sont pas des funérailles, c’est la comédie de la planète. Que sont-ils tous venus pleurer ? Le roi ? La paix ? Une image du Proche-Orient ou d’eux-mêmes ? Une époque qui s’achève ? La stabilité de la région ? On pense au bal des tartuffes, dans les grands enterrements, chez Saint-Simon : ceux qui sont fondés à « draper » (porter le deuil) et ceux qui ne le sont pas. On pense à Lawrence, et à une autre procession, au même endroit, mais devant un tout autre catafalque, dans Les sept piliers de la sagesse : frôlements, chuchotements, alliances qui se font et se défont, passions à peine retenues, fin d’un âge, début d’un autre. Ou bien ceci, encore : il y a des jours où l’on croit voir l’esprit du monde passer, à Iéna, sous les fenêtres d’un philosophe ; il y en a d’autres où il passe, à Amman, sur la tombe du petit roi d’un tout petit pays, né d’un songe de Lawrence d’Arabie et d’obscurs découpages coloniaux : quelles convulsions après Hussein ?

La « parité ». Ce qui n’est pas acceptable, chez les partisans de la « parité », c’est évidemment leur dogmatisme. Car on peut faire le procès d’un certain exercice sexiste de la politique. On peut trouver en effet scandaleuse l’exclusion qui frappe les femmes dans tous les partis français sans exception. On peut, comme Sylviane Agacinski, estimer que cette arrogance tranquille des hommes, ce quasi-monopole qu’ils exercent sur les grands appareils de pouvoir reviennent à priver l’autre moitié, non du ciel, mais du pays du droit élémentaire à l’exercice de la souveraineté. On peut encore imaginer mille et une procédures techniques, politiques, voire financières, permettant de corriger les choses et de contraindre les partis à se rapprocher de la parité ou, pourquoi pas ? à la dépasser un jour. Mais de là à instituer ces procédures, de là à figer le partage et à opposer, sur le plan des principes, une bonne discrimination à la mauvaise, de là à proclamer qu’un parlement n’est réellement démocratique que s’il compte cinquante pour cent d’hommes et cinquante pour cent de femmes et de là, donc, à définir la citoyenneté en fonction, non pas exactement d’une « différence », mais d’un «genre», il y a un pas que l’on ne peut franchir sans prendre deux risques majeurs. Le risque « philosophique » d’un détournement durable de l’idée même d’humanité telle qu’elle s’impose au droit depuis les Lumières : le sujet – c’est Élisabeth Badinter qui a, pour le coup, raison – cesse d’être sexué lorsqu’il accède à l’ordre citoyen. Le risque de voir telle ou telle communauté (les beurs, les jeunes, les vieux, les Juifs) arguer, demain, de sa sous-représentation dans la République universelle pour exiger une discrimination positive inscrite, elle aussi, dans les textes : c’est la porte ouverte, comme dit encore Élisabeth Badinter, à toutes les dérives communautaristes. Qu’appelle-t-on état d’urgence en démocratie ? L’instauration de mesures d’exception. La suspension provisoire de la loi. Mais jamais, au grand jamais, la réécriture de cette loi, le reniement définitif des principes. Eh bien, il y a urgence, dans notre démocratie, sur le front de la parité. Il est non seulement légitime, mais urgentissime, de harceler les partis, de les forcer à se réformer. Mais l’erreur serait, il me semble, de confier à la loi ce qui revient au combat politique. L’erreur, la régression consisteraient à inscrire dans les textes ce qu’il faut imposer dans les mœurs. Oui à la lutte politique, non à la révision des articles III et IV de la Constitution : la nuance peut paraître mince, elle est essentielle ; c’est celle qui, selon Montesquieu, sépare l’état d’urgence de la dictature.


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