Dernières répétitions, ultime filage sur la scène du théâtre de l’Atelier. Hôtel Europe, par-delà ses thèmes philosophico-politiques, m’a fait bien rire. La pièce, redoublée du jeu aux mille registres du monstre sacré, Jacques Weber, qui la mène à un train d’enfer deux heures durant, a un arrière-fond (pas si arrière que ça) d’une drôlerie échevelée, entre humour noir et imprécations ravageuses contre les méchants et l’air mauvais du temps, est soutenue d’une Vis Comica qui, à plusieurs reprises, m’a fait pousser un de ces fous rires qui ponctuaient la lecture de ses pièces les plus noires par Kafka à ses amis, à Prague.
Oui, on devrait s’amuser à Hôtel Europe. Un monologue, un sujet a priori aride tel que l’Europe : le sérieux des choses pourrait faire dire : « Il va falloir s’accrocher ».
Oui, mais non. Le texte est fait de portraits politiques,historiques et autres, évoque des moments, des situations, qui se prêtent à la parodie, sentimentale, empathique ou assassine selon les cas, à l’illustration sonore, gestuelle, au mimétisme affectif ou bouffon, à de petits et grands bougés, à des tourbillons de ballet avec soi-même. Auxquels Weber s’abandonne à cœur joie, avec une truculence physique qui laisse pantois. Jusqu’à se jeter habillé, ordinateur compris, dans une baignoire d’eau froide.
Ce n’est pas le Grand Magic Circus de feu Jérôme Savary. Mais l’acteur qu’est Weber ne rate une occasion de liberté pour lui-même, il s’autorisait, ces soirs de répétition, des jeux à lui, inventait des postures changeantes, singeait, pirouettait, s’évadait, s’amusait, tonnait, tempêtait, fouettait, se gaussait, riait et pleurait. Il y avait, dans son mano a mano d’homme seul contre l’ordre du monde, un côté duel avec tous les méchants de la terre, un panache qui faisait penser, oui Mesdames, oui Messieurs, à Cyrano et ses moulinets verbaux. Un Cyrano politique, mais Cyrano quand même.
Manger le texte, danser le texte, le vivre, l’appareiller. L’acteur-Roi s’amuse à mort. Que Weber, ce bon génie, nous fasse rire et pleurer, tel est son bel art.
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