C’est l’année où le président de la République a attendu d’aller au cinéma pour réparer une injustice (les pensions impayées des anciens harkis).

C’est l’année où un ancien chancelier, en Allemagne, s’est empressé, sitôt son mandat achevé, de se vendre à un ancien kagébiste (Poutine, Gazprom et compagnie).

C’est l’année de l’entrée du polonium dans la short list des armes de destruction, non massives, mais minimales les plus sophistiquées et, dorénavant, les plus courues.

C’est l’année, partout, des femmes remarquables (Angela Merkel, Ségolène Royal, Michèle Bachelet au Chili, Ellen Johnson-Sirleaf au Liberia – sans parler, aux USA, du triummulierat Clinton-Condi-Pelosi).

C’est l’année du coup de boule de Zidane – à moins que ce ne soit celui, justement, de Ségolène dans son match contre les éléphants.

C’est l’année de la « panenka » du même Zidane, à moins que ce ne soit celui de la même Ségolène : ni à droite, ni à gauche, mais au centre – n’est-ce pas le programme commun aux grands tireurs au but et aux politiques avisés ?

C’est l’année, dans les stades et hors des stades, d’une montée sans précédent du mate-racisme et de l’antisémitisme – comme dit la jeunesse dorée de Milan : « Maserati si, Materazzi no ».

C’est l’année où Peter Handke, affichant sa serbitude jusqu’à la nausée, s’est définitivement déshonoré.

C’est l’année où, dans cette affaire Handke comme dans quelques autres un peu plus tôt ou un peu plus tard (Harold Pinter défendant lui aussi Milosevic, Noam Chomsky défendu par Hugo Chavez), on a eu le choix entre le politiquement abject et le politiquement correct.

C’est l’année où l’ancien comique Dieudonné a décidé de donner à Le Pen le fils qu’il n’a pas eu et c’est l’année où les Le Pen (père, fille et, désormais, fils) ont fini de banaliser le Front national.

C’est l’année où des caricaturistes danois, un pape, puis un philosophe, ont repris le mot d’ordre voltairien « écrasons l’infâme » et c’est l’année où l’on a vu les huissiers de la bien-pensance rétorquer : « que l’infâme écrase Voltaire ».

C’est l’année où l’on a constaté, comme d’habitude, que 32 morts à Beit Hanoun avaient cent fois plus d’écho, donc d’importance, que 250 000 au Darfour.

C’est l’année où l’humanité est restée les bras croisés, par conséquent, comme de coutume, face à un génocide annoncé.

C’est l’année où un Etat membre des Nations unies (l’Iran) en a condamné un autre à mort (Israël) – froidement, sans se gêner, et sans que cela émeuve outre mesure une opinion mondiale tétanisée (en avant vers un Munich persan !).

C’est l’année où la lutte des classes a définitivement cédé la place à la lutte des mémoires et des victimes.

C’est l’année où a triomphé, à Cannes, puis dans le monde entier, un film complotiste, obscurantiste, révisionniste : Da Vinci Code.

C’est l’année, partout, de toutes les théories du complot : Israël, Vatican, internationales et maçonneries diverses et variées, les juifs encore, les Danois, l’Opus Dei, les neocons aux Etats-Unis, les mafias russes et tchétchènes, j’en passe – partout des vérités cachées; partout des acteurs clandestins et opérant dans l’ombre de la scène apparente; encore quelques années et c’est la réalité elle-même qui disparaîtra, vaincue par les assauts de cette rétrologie (une autre réalité, mais derrière, en retrait et, de ce fait, plus réelle et plus vraie).

C’est l’année où les réserves de change de la banque centrale chinoise ont atteint le chiffre faramineux de 1 000 milliards de dollars – menaçant d’implosion le système financier international.

Ce fut aussi le montant total (1 000 milliards de dollars) des ventes d’armes, dans le monde ; et c’est encore celui du volume des échanges, chaque jour, sur les marchés boursiers et monétaires (autre vertige… autre bulle… autre prise en otage du réel par le virtuel…).

C’est l’année où il s’est confirmé que la vraie source de l’ignorance n’est pas dans la rétention, la rareté, la censure de l’information mais dans son déferlement, dans le flot ininterrompu des nouvelles et des commentaires, dans le tsunami des chaînes, des écrans, des nouveaux supports, des blogs.

C’est l’année des blogs justement, c’est-à-dire du nombrilisme planétaire.

C’est l’année, cependant, où le nombre des ex-bloggers a rejoint celui des bloggers – preuve que le nombrilisme n’est peut-être pas, tout compte fait, un journalisme.

C’est l’année où un Valéry postmoderne aurait pu s’écrier : « nous autres, Libération, savons désormais que nous sommes mortels ».

C’est l’année où l’on a enfin compris qu’il ne fallait plus dire : « le climat se détraque » mais « la planète se réchauffe ».

C’est l’année où Saddam Hussein a été jugé (un procès plutôt digne) puis exécuté (le jour de l’Aïd el-Kebir, comme un animal – quelle erreur ! quelle faute !).

C’est l’année où un ami de Philippe Noiret, venu sur le canal Saint-Martin, s’est écrié : « je ne veux pas mourir sans que soit résolue, pour de bon, la question des SDF » – quel panache ! quel texte !

C’est l’année où il est devenu clair que la fin de l’Histoire, pas plus que la Révolution, n’est un dîner de gala.


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