En quelques jours, tout a changé. C’est un millier de soldats russes qui, selon des sources Otan, circulent depuis quelques jours autour de Lougansk. Ce sont plusieurs dizaines de blindés russes, notamment de la division aéroportée de Pskov, qui ont franchi la frontière et sont, depuis le 25 août au moins, à la manoeuvre. Ce sont des appareils de l’aviation de Moscou qui violent, tous les jours, dans une impunité totale, l’espace aérien ukrainien et survolent les positions, désormais encerclées, des unités les plus avancées de l’armée de Kiev. C’est la marine russe qui ouvrirait un nouveau front, au sud-est du pays, loin des zones séparatistes, contre le port stratégique de Marioupol, au bord de la mer d’Azov, en vue de prendre en tenaille les régions russophones de l’Est.

Il semble même, d’après des informations, elles, non encore vérifiées, que l’armée russe ait déployé un quartier général de campagne à Pobeda, à 50 kilomètres de Donetsk.

Bref, la pantomime séparatiste est terminée et c’est vers cette réalité nouvelle qu’on pourrait être en train de s’acheminer : la première vraie guerre, depuis des décennies, en Europe ; la première agression d’un État souverain contre un autre État souverain qu’il entend démembrer et vassaliser ; cela même, autrement dit, que la construction de l’Europe, puis sa réunification et, donc, la fin de la guerre froide étaient censées rendre impossible.

Ce que demande Porochenko

Devant cette escalade ahurissante et qui s’emballe d’heure en heure, que faut-il faire ?

Prendre la mesure, déjà, de la menace. Mettre les justes mots sur ce qu’il faut bien appeler une agression, non plus froide, mais tiède et, un jour, ce qu’à Dieu ne plaise, chaude, contre un pays européen et donc contre l’Europe elle-même.

Aller au-delà de ces sanctions savamment dosées, diplomatiquement progressives et prudemment ciblées dont la Russie se gausse et qui n’ont – c’est peu de le dire – freiné en rien ses ardeurs belliqueuses. Et il est urgent, surtout, d’entendre l’appel que nous adresse le président Porochenko et qui demande, concrètement, trois choses.

La relance, à Cardiff, du processus de rapprochement avec l’Otan (qui aurait pour vertu de sanctuariser son pays).

La livraison de ces armes sophistiquées sans lesquelles des personnalités de plus en plus nombreuses (en Europe, la présidente lituanienne Dalia Grybauskaite ; aux États-Unis, le sénateur McCain ou le président de la commission des Affaires étrangères du Sénat, le démocrate Robert Menendez) reconnaissent que l’armée de Kiev, malgré sa détermination et son courage, ne tiendra plus très longtemps face aux commandos d’élite infiltrés par le Kremlin.

Et puis, last but not least, la dénonciation sans délai de ces fameux contrats par lesquels la France s’est engagée à vendre deux navires de type Mistral, dont l’un s’appelle le Sébastopol et qui pourrait, s’il était effectivement livré, pointer demain devant Odessa…

Les conséquences d’une capitulation

Je ne dis pas que ces décisions soient faciles à prendre ni, encore moins, à mettre en oeuvre.

J’ignore si l’idée que j’ai lancée ici même, il y a deux semaines, après en avoir fait part au président français, d’un rachat de ces contrats par l’Union européenne a fait ou non son chemin dans la tête des autres leaders européens. Et je sais surtout que le monde est entré, du fait de l’aventurisme poutinien, dans une de ces zones de haute turbulence où il n’y a plus de “bonne” solution et où nous n’avons le choix qu’entre des maux presque également redoutables.

Mais d’une chose, en tout cas, l’on est sûr. Si les conséquences d’une épreuve de force sont incertaines, les effets d’une capitulation sont, eux, parfaitement clairs.

1. Renforcement d’un poutinisme dont le projet ultime est la déstabilisation, l’affaiblissement et, à terme, la déconstruction de l’Union européenne.

2. Menace, par contagion, sur toute frontière qui aurait l’infortune de traverser une communauté linguistique et que n’importe quel matamore nationaliste se sentira autorisé à abolir.

3. Sale coup porté à une idée européenne dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle était déjà en petite forme et qui deviendrait comme une dépouille sans contenu, un fantôme à la recherche de son ombre passée.

4. Adieu à la dissuasion, non seulement européenne, mais américaine, dans toutes les négociations (Iran, Syrie, Corée du Nord…) où la Russie, ne serait-ce que par son rôle au Conseil de sécurité, se trouve indirectement ou directement impliquée.

5. Et puis, en Ukraine même, une déception, un désenchantement, un sentiment de délaissement dont je n’ose imaginer le profit que tireraient les mouvements extrémistes qui sont, pour l’heure, comme le Pravy Sektor, ultraminoritaires, mais qui relèveraient forcément la tête en opposant leur nationalisme radical à une Europe qui aurait le visage, tout à coup, de la lâcheté et des promesses trahies.

Qui peut vouloir le retour de ces spectres ?

Qui se résignera à voir se glacer ainsi les espérances de la grande insurrection démocratique et européenne de la place Maidan ?

Vite, à Paris ou ailleurs, un sommet européen autour du président Porochenko et pour la défense de la nouvelle Ukraine.


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