Texte écrit avec Pascal Bruckner, André Glucksmann, Christophe Ono-dit-Biot.

La junte militaire birmane est en train de gagner son pari : réinstaller le silence, l’oubli et la mort après la « preuve de vie » lancée à la face du monde, il y a quelques semaines, par son peuple et par ses moines. La junte militaire birmane est en train de gagner son pari : nous constatons chaque jour, partout ou presque, une démobilisation des énergies, des émotions et des protestations – et ce, alors même qu’un millier d’opposants politiques, au moins, endurent probablement le pire dans des prisons infectes.

Nous ne connaissons même pas le lieu de détention du plus emblématique de ces opposants martyrs : Min Ko Naing, arrêté en 1988, à 26 ans, libéré en 2004 après seize années de torture et arrêté de nouveau le 22 août, dès le début des manifestations. « Disparu », nous dit-on. Juste « disparu ». Et nul ne bronche, nulle chancellerie ne proteste ni ne s’interroge plus avant, quand on annonce que Min Ko Naing, cette autre incarnation de l’esprit de résistance en Birmanie, aurait « disparu »…

Il y a quinze jours, dans ces colonnes, nous nous sommes déjà adressés à vous. (Le Monde du 12 octobre). Il y a quinze jours, ici même, nous vous adjurions d’appuyer auprès des autorités birmanes la demande de visa d’une délégation de parlementaires français décidés à aller enquêter, autant que faire se peut, sur les violations des droits de l’homme massives dont la Birmanie est le théâtre.

Les pourparlers que vous avez engagés en ce sens avec les autorités consulaires birmanes sont à ce jour restés lettre morte. Nous nous interrogeons : le président de la République française, son ministre des affaires étrangères peuvent-ils en rester là ? Peuvent-ils demeurer sans réaction devant cette fin de non-recevoir adressée, à travers quelques-uns de ses parlementaires, à notre pays tout entier ?

La France peut-elle, alors même que la police birmane se redéploie dans les rues de Rangoon, cautionner « par omission » le renforcement d’une dictature dont les méthodes soulèvent le cœur ? Nous ne pouvons croire à un pareil renoncement.

Nous ne pouvons imaginer que la patrie des droits de l’homme soit durablement sourde aux appels au secours d’un peuple si durement asservi. C’est pourquoi, Monsieur Kouchner, nous vous demandons de remettre aux interlocuteurs politiques, notamment chinois, que vous devez rencontrer dans les tout prochains jours la liste de prisonniers politiques birmans que nous vous avons remise juste avant votre départ en voyage officiel pour l’Asie : vous vous y êtes engagé et nous vous en savons gré ; nous est-il permis d’ajouter que nous attendons aussi de vous que vous exigiez, le plus vite possible, l’accès du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) aux lieux de détention de ces prisonniers politiques, ainsi que la non-répression, par la police thaïlandaise, des réfugiés politiques birmans à la frontière des deux pays ?

C’est aussi pourquoi, Monsieur le président de la République, nous vous demandons de rompre le silence et de dire, à haute et intelligible voix, la répulsion qu’inspirent à tant et tant de Français les crimes qui se commettent, en ce moment même, à Rangoun : ce silence, en effet, est en train de devenir, en France et ailleurs, de plus en plus assourdissant.


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