Une nouvelle Ukraine est née, il y a un an, sur le Maïdan. Et l’esprit qui animait ses centaines de milliers de manifestants est, aujourd’hui, plus fort que jamais.
Cette nouvelle Ukraine est l’exact contraire de l’Ukraine d’hier, minée par la corruption et démoralisée. C’est une expérience rare de démocratie participative et de construction d’une nation par ses citoyens eux-mêmes. C’est une belle et noble aventure menée par un peuple rassemblé dans le projet commun de s’ouvrir à la modernité, à la démocratie, à l’Europe. Et c’est, jusqu’au sommet de l’Etat, le bel exemple donné par des hommes et des femmes d’exception qui n’ont pas craint, telle Natalie Jaresko, la nouvelle ministre des Finances, de renoncer à de brillantes carrières personnelles pour se vouer, corps et âme, au sauvetage d’un pays qui a payé au prix fort – celui des pires épreuves, parfois du sang – sa volonté de s’arrimer à l’Europe.
Le problème, c’est que cette nouvelle Ukraine est menacée, comme dans toutes les révolutions, par les tenants de l’Ukraine d’hier. Le problème, c’est que les réformes engagées, la mise en place d’une société ouverte fondée sur le système des check and balances, la volonté de rupture avec la culture post-soviétique, le dirigisme d’Etat, la corruption généralisée et l’oligarchisme prédateur sont bloquées, comme toujours et comme, par exemple, dans la Géorgie de Saakachvili, par les réflexes, les habitudes et les intérêts du passé. Et le problème c’est, surtout, la fuite en avant de la Russie qui, à l’heure où nous écrivons ces lignes, accroît son offensive sur le double terrain où se jouent désormais les guerres.
Le terrain militaire avec, sur les frontières de l’Est et, en direction, désormais, de Debaltsevo, Marioupol et Avdeevka, l’escalade des combats et des provocations des séparatistes prorusses.
Et le terrain financer, où des signes nombreux et concordants indiquent qu’un Poutine affaibli par le double effet des sanctions et de la baisse des prix du pétrole est bien décidé à contre-attaquer sur le même terrain et à tenter de mettre à genoux le gouvernement de monsieur Porochenko. Les démocraties, face à cela, sont, comme d’habitude, lentes à répondre
Et cette association de démocraties qu’est l’Union européenne est, comme il se doit, plus lente encore.
Or beaucoup dépend de ce qui se passera dans les semaines, pour ne pas dire les jours, qui viennent.
Ou bien les dirigeants européens persistent dans leur inquiétante prudence et, alors, non seulement Poutine poursuivra sa double agression, mais il arguera que les problèmes rencontrés par sa propre économie sont dus à l’hostilité de l’Ouest et gagnera ainsi sur tous les tableaux à la fois. Ou bien les dirigeants européens se rangent derrière Kiev ; ils exhortent les institutions financières internationales à voler au secours de ce pays de 45 millions d’habitants qui, tandis qu’il semble toucher le fond, demeure politiquement et moralement debout ; ils obtiennent que tel fonds d’aide, en principe réservé aux peuples de l’Union, soit étendu à ces Européens de cœur et d’adoption que sont les Ukrainiens ; et alors Vladimir Poutine sera forcé de mettre un terme à son agression ; l’Ukraine pourra reprendre sa longue et difficile marche en avant vers les réformes ; et la responsabilité du désastre économique qui menace la Russie elle-même incombera clairement aux aventuriers qui la dirigent.
D’un côté, l’abandon de l’Ukraine : ce serait une perte terrible, peut-être mortelle, pour une Europe qui aurait laissé la Russie diviser et régner. De l’autre, une mobilisation politique, économique et, à très court terme, financière des démocraties en direction d’un pays qui a foi en nos valeurs et qui, par sa foi même, les renforce : et l’Ukraine vivra ; et l’Ukraine l’emportera ; et peut-être même – qui sait ? – le peuple russe prendra-t-il modèle sur la nouvelle Ukraine pour s’engager, à son tour, sur le chemin de la démocratie et des réformes. Les heures à venir seront cruciales. L’Europe est à la croisée des chemins et de son destin.
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